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par Alfro - le 6/12/2013
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par Alfro - le 6/12/2013

Le Cinquième Beatles, la critique

L'histoire des Beatles a été racontée, disséquée, examinée sous tous les angles imaginables. Mais toujours avec les Fab Four au cœur du regard porté. Leur rayonnement a définitivement porté une ombre sur leur manager Brian Epstein. Pourtant, il était une partie intégrante du mythe qu'ils ont bâti ensembles, et cette bande dessinée permet de le rendre justice à un autre homme d'exception né dans cette Liverpool devenue le centre du monde pendant quelques années. C'est donc avec des étoiles dans les yeux que l'on a vu arriver Le Cinquième Beatles dans une édition sublime et très classe de Dargaud.

"Nous accueillons ce soir une autre célébrité de la musique, mais d'un genre différent... Applaudissez M. Brian Epstein !"

Le scénariste Vivek J. Tiwary a très tôt développé une passion pour Brian Epstein. Un intérêt qui peut paraître étrange, tant l'homme, bien que présent à côté des hommes les plus en vus des années 60 a réussi du regard inquisiteur des médias qui découvraient pour la première fois ce qu'était l'engouement populaire. C'est que Brian Epstein n'a jamais tiré la couverture à lui. Nous comprenons bien dans ces pages que son désir premier n'a jamais été de connaître le succès en se servant du talent des Beatles. Il était sincèrement dévoué à la tâche dont il s'était lui-même affublé, celle de faire découvrir au reste du monde cette énergie incroyable qui l'a traversé la première fois qu'il a vu les Quatre Garçons dans le Vent. Le scénariste appuie fortement sur le fait que le manager avant d'être un businessman d'exception est surtout un mélomane confirmé qui était à la pointe de la musique de son époque. Une sorte de hipster qui se faisait une opinion par lui-même et sans l'aide d'internet.

Ce qu'il était aussi, c'était juif et gay. S'il on ajoute à cela qu'il était sympathisant gauchiste, on comprend très vite que sa vie dans ces années 60 pas encore libérées était un défi permanent. C'est d'ailleurs l'un des points forts de cet ouvrage. Il montre que les Beatles étaient aussi un vecteur pour faire naître une révolution culturelle qui libérerait les mœurs. Brian Epstein en diffusant le message de John, Paul, George & Ringo cherchait aussi à se préserver, poussé par une crainte, un mal-aise, qui lui était chevillé au corps. C'est significatif que les premières pages montrent l'épisode où il s'est fait mettre à tabac par un marin parce qu'il était homo. Cet épisode brisera quelque chose en lui qui va être au cœur même de ce qu'il sera plus tard. C'est ce qui va le pousser à se dépasser pour se réinventer en génie du marketing et qui propulsera les Beatles aux côtés de Jésus, mais c'est aussi ce qui va le tuer à petit feu.

Car cette histoire est surtout une tragédie douce-amère. Pleine d'un humour anglais qui fait mouche (pourtant Tiwary est américain, mais il a saisi cette difficulté à intégrer le plus de sens de lecture en peu de mots), d'une énergie virevoltante qui traduit la folie de cette époque et de l'élan de positivité qui est apparu dans ces années où l'économie repartait après des années de reconstruction. Mais ce récit est aussi rempli d'une inéluctabilité terrifiante. Dès le départ on sait que cela va mal finir, la métaphore du matador El Cordobes n'est pas là pour rien et cet interlude régulier avec le médecin est comme une échelle qui nous mène au plus profond d'une dépendance qui aura raison d'un homme qui aura vu la mort bien trop proche pour ne pas saisir toutes les opportunités que lui offrait la vie.

"Liverpool, c'est ça ?"

Ce qui fait beaucoup de bien dans cette BD, c'est que cela beau être une biographie, on n'est pas écrasé par les conventions du genre et par une narration qui n'ose pas jouer avec l'histoire de son sujet. Ici, le scénariste fait des infidélités à la réalité des faits, drague ouvertement l'allégorie et embrasse franchement les délires inspirés par les psychotropes que la médecine de l'époque distribuait sans états d'âmes et dont était complétement accroc ce génie de la communication qui ne parvenait pas à exprimer ce qui le hantait. À mesure que les années filent et le récit avec elles, la frontière se fait plus floue entre les délires, que le rythme endiablé provoqué par les enfants de la Mersey ne devait pas arrangé, et une réalité qui prend des allures de théâtre de l'absurde à mesure que le succès leur décolle les têtes des épaules. On insiste bien dessus au début de l'histoire, ils ne sont que des gars venus de Liverpool, le bon sens ouvrier chevillé au corps. Celui-ci ne pouvait pourtant rien contre ses sphères qui ont été explorées par nul autre que les Beatles.

Si le sujet et la documentation qui a été faite autour sont impressionnants, Tiwary n'oublie pas cependant qu'il écrit une bande dessinée. Il en maîtrise les codes et est bien aidé par le dessinateur Andrew C. Robinson. Celui-ci offre des pages dynamiques, servies par un trait puissant et énergique, sans pour autant oublier de traduire une douceur inhérente à ce rythme de comédie anglaise. De plus, on sent que parfois, il prend la liberté de dépasser le script qui lui est présenté, sortant du cadre narratif pour délivrer la métaphore graphique, le découpage qui appuie sur des éléments cruciaux et des inventions visuelles, de petites trouvailles qui donnent une grande force à ses pages. Il ne se contente pas de délivrer l'histoire, aussi belle soit-elle, il l'a compris et nous la fait ressentir. L'association entre les deux artistes est complémentaire et nous permet d'entrapercevoir à travers l'interstice qu'a laissé Brian Epstein un bout de ces années folles qui reprennent vie devant nos yeux.



C'est donc une histoire qui a été maintes fois traitée que l'on redécouvre ici mais qui nous offre tout de même un point de vue tout à fait inédit. Une bande dessinée qui est indispensable pour tout fan des Beatles mais aussi pour ceux qui sont à la recherche dans récit maîtrisé, qui navigue habilement entre humour qui fait mouche et une tragédie qui est souvent l'amer fardeau de ces visionnaires qui un pas dans le futur n'ont jamais sû se faire à leur époque.

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