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par Elsa - le 26/10/2015
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par Elsa - le 26/10/2015

Appel du pied et Pauvre chose, deux romans pour découvrir Wataya Risa

Wataya Risa est une auteure jeune par son âge (elle est née en 1984), mais qui comptabilise plus de dix ans de carrière au Japon, et enchaine les prix au fil de ses publications. Son premier roman, Install, elle l'a écrit pendant ses vacances d'été, à 17 ans. Elle devint avec lui la plus jeune lauréate du prix Bungei

Elle écrivit Appel du pied à 19 ans, pour lequel elle sera cette fois-ci la plus jeune lauréate du prix Akutagawa (équivalent japonais du Goncourt). 

Puis elle publia Trembler te va si bien, et en 2011 Pauvre chose, devenant cette fois-ci la plus jeune lauréate du prix Kenzaburô Ôe.

Même si les prix ne veulent pas toujours dire grand chose, un tel palmarès et le côté 'record' de sa jeunesse à chaque fois piquent forcément la curiosité.

Pauvre chose parait ce mois-ci, toujours aux éditions Picquier. L'occasion de découvrir cette auteure à travers deux de ses romans : Appel du pied et Pauvre Chose.

 

Appel du pied.

Hatsu est au lycée. Elle se sent seule, affreusement seule. Sa meilleure amie s'est éloignée d'elle après le collège, elles se parlent de moins en moins. Tout à l'air si simple pour les autres, mais la jeune fille se sent constamment mise à l'écart, et elle ne voit pas comment se sortir de cette situation.

Un jour, pour tromper l'ennui, elle adresse la parole à Ninagawa. Lui, c'est vraiment le laissé-pour-compte de la classe. Il est bizarre, mais quand elle l'aperçoit feuilleter avec sérieux un magazine féminin en plein cours, elle ne peut pas s'empêcher d'aller lui parler. Commence alors une relation aussi troublante et impalpable que le sont les émotions adolescentes.

Dans ce court roman, la jeune auteure se met totalement à la place de son héroïne, et nous raconte ses cheminements intérieurs, ses doutes, ses blessures, au jour le jour. Elle retranscrit avec une subtilité et une justesse rares la manière brouillonne de penser pendant l'adolescence. On s'aperçoit sans que cela soit dit à quel point Hatsu se renferme sur elle-même en se persuadant qu'on la laisse de côté, à quel point elle se sent perdue. Ce n'est pas une héroïne construite pour être appréciée, elle est égocentrique, un peu parano, parfois méchante. Elle se plaint beaucoup intérieurement d'être seule, le reproche aussi à sa meilleure amie, mais ne fait aucun effort pour inverser la tendance. Mais elle est aussi emplie de qualités que l'on comprend entre les lignes. Si cette jeune fille nous touche, c'est parce qu'on partage l'intimité de ses pensées, et qu'elle est aussi humaine que nous, même si elle n'est faite que de mots sur du papier. On repense à qui l'on était à l'adolescence, à cette manière de voir le monde par le prisme de son nombril, à se sentir différent, seul au monde. L'auteure pose avec beaucoup de sincérité des mots sur ces sensations.

Le récit est réaliste et en même temps parfois dérangeant, notamment à travers le personnage de Ninagawa, complètement obsédé par une mannequin populaire. Mais l'auteure nous le présente à travers le regard troublé d'Hatsu, lui donnant une profondeur particulièrement intéressante. Ce récit sombre, triste et pourtant, par petites touches, lumineux, évoque un peu l'univers et la narration du mangaka Inio Asano, qui dépeint avec maestria les vies sur le fil d'adolescents et de jeunes adultes un peu perdus. 

 

Pauvre chose.

Julie (qui en veut beaucoup à ses parents de lui avoir donné un prénom occidental alors qu'ils sont tout ce qu'il y a de plus japonais) a vingt-huit ans, elle travaille dans une boutique de vêtements, et elle est follement amoureuse de Ryûdai, son copain. Il y a quelques temps, elle rayonnait tellement de bonheur que cela avait même impacté positivement sur les ventes du magasin. Son sourire est devenu un peu moins lumineux quand Ryûdai lui a annoncé qu'il allait héberger Akiyo, son ex, à la recherche d'un emploi et dans une situation financière très délicate. 

Ryûdai et Akiyo ont tous les deux vécu aux Etats-Unis, et sont revenus vivre ensemble au Japon, avant que Ryûdai ne la quitte lorsqu'il réalisa qu'il ne l'aimait plus. Il se sent responsable de lui avoir causé autant de peine, et souhaite donc l'aider quelques temps pour se rattraper un peu. Il parait qu'en Occident, c'est tout à fait normal d'héberger un ami qui en a besoin. Oui mais son ex, c'est normal aussi ? Julie est vraiment amoureuse, et Ryûdai l'assure que ces sentiments sont réciproques. Et puis elle est consciente que la mentalité occidentale est différente, alors elle essaie de faire preuve d'ouverture d'esprit, de compréhension et de gentillesse. Mais jusqu'à quand ?

Les héroïnes de Wataya Risa vieillissent en même temps qu'elle. C'est peut-être ce qui lui permet de mettre en scène avec autant de justesse les cheminement de pensées de ses personnages. Là encore, tout nous est raconté du point de vue Julie, le fil de ses pensées se déroulant au fil des pages. Contradiction, moments de rage, de sérénité, de bonheur, d'attendrissement, de jalousie, se bousculent au fil du texte, auxquelles se mêlent des pensées consacrées à l'instant, quand son attention et ses réflexions se portent sur ce qu'elle est en train de vivre plutôt que sur sa situation compliquée. L'héroïne, dans ses qualités et ses défauts, est plus mûre qu'Hatsu. Elle n'a pas la même manière d'appréhender le monde et sa vie que l'adolescente d'Appel du pied, c'est particulièrement intéressant de voir qu'à chaque fois, l'auteure parvient à saisir ce qui est presque universel chez les jeunes femmes de son âge.

Dans l'un et l'autre de ces romans se dégagent une émotion sincère, en nous faisant vivre de l'intérieur un moment de vie de deux jeunes femmes. Wataya Risa entre complètement dans la peau de ses héroïnes pour nous livrer des pensées intimes, parfois douloureuses, mais non dénuées d'un humour délicieux. Parce qu'en plus d'avoir un regard très juste, elle est aussi très drôle, mordante et capable de mettre en mots à la perfection l'ironie des situartions. Des lectures qui se vivent véritablement, et une auteure dont on aura tôt fait de dévorer toute la bibliographie.

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