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par Manu - le 14/11/2015
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par Manu - le 14/11/2015

Fluctuat nec mergitur

Il est rare que je m’exprime ainsi publiquement, mais aujourd’hui j’en sens la nécessité. Cette nuit, alors que j’abandonnais face à la fatigue, je déclarais à des amis « Je n’ai pas envie de dormir, car je n’ai pas envie de me réveiller dans le monde de demain ». Car face à l’horreur des événements d’hier, j’ai peur de l’horreur bien moins ostentatoire qui nous attend. Une horreur qui parait, de jour en jour, de plus en plus inéluctable, et qui sera aujourd’hui accélérée si on laisse les choses se faire.

L’un de ses amis disait, juste avant que je m’endorme, « Les gens sont pour la plupart désespérant. Ils sont dans la réaction, c’est un cauchemar ». Bien loin de lui, et de moi, l’idée de juger comment le monde accueille de telles horreurs. A-t-on le droit d’être dans la réaction ? Bien entendu. Mais quand on commence à entendre, alors que cette « guerre de rue » n’est pas encore terminée, de nombreux journalistes demander « Pourquoi les rues ne sont pas plus sécurisées ? », je m’inquiète de plus belle. Les jours à venir me font bien plus peur que ce qui s’est passé cette nuit, pardonnez-moi pour cela.

Nous vivons dans un monde de réaction. Je ne hais pas les gens pour cela, je hais le système, le monde qui les a amenés là. Quand on nous choque, on réagit en conséquence, et malheureusement beaucoup sont prêts à abandonner leur liberté pour l’espoir d’être un peu plus en sécurité. Une sécurité illusoire, qui plus est, et c’est bien le dilemme des hommes politiques, mis en porte-à-faux devant les caméras du monde, et qui savent au fond d’eux que le sacrifice nécessaire pour amener à une sécurité totale serait bien plus dommageable au monde, mais qui ne peuvent pas avouer publiquement que la sécurité absolue n’est pas possible. Et c’est ainsi que les compromis vont naître, que petit à petit, la république va abandonner ses valeurs sur l’autel du sensationnalisme, et de la réaction immédiate qu’on réclame.

Mais c’est se fourvoyer, et capituler, que de réagir ainsi. Si la France est attaquée aujourd’hui, c’est parce qu’elle est un symbole de libertés. Parce qu’elle reste encore un étendard de solidarité, de fraternité, malgré tous les coups qu’elle a pu prendre. Et la réaction qu’elle doit choisir, c’est de faire face et de ne pas bouger. Il m’est avis que les espoirs qu’il peut me rester sur le sujet ne seront pas forcément entendus, et qu’une nouvelle fois, la liberté et la fraternité vont en pâtir. Nous ferons alors le jeu de ceux qui nous attaquent.

Sur ce je vous laisse avec le texte que je trouve le plus à propos sur la question. Un texte écrit par J. Michael Straczynski et mis en image par John Romita Jr., peu après le 11 septembre 2001, dans Amazing Spider-Man #36 (vol.2). Pardonnez-moi si la traduction n’est pas idéale, j’ai pris sur moi de retraduire le passage qui me semblait opportun, n’ayant pas la traduction française officielle à portée de main.

« Que devons-nous dire à nos enfants ? Devons-nous leur dire que le Mal a un visage étranger ? Non, le Mal est l’idée qui se cache derrière un visage. Et ce visage peut ressembler au vôtre. Devons-nous leur dire que le Mal est tangible, avec des frontières définies, des noms, des géométries, des destinées ? Non, ils auront assez de cauchemar comme ça. Peut-être devons-nous leur dire que nous sommes désolés. Désolés de ne pas pouvoir leur laisser le monde que nous souhaiterions leur laisser. Désolés que notre empressement à crier ne trouve pas d’égale en notre volonté d’écouter. Que le fardeau de peuples lointains est la responsabilité de tous les hommes et toutes les femmes, ou leur fardeau deviendra un jour notre tragédie. Ou peut-être devons-nous simplement leur dire que nous les aimons, et que nous les protégerons. Que nous donnerions nos vies pour les leurs, et que nous le ferions volontiers, si grand est le fardeau de notre amour. Dans un univers de consoles de jeux et d’enregistreurs, c’est, peut-être, un don peu substantiel. Mais c’est le seul qui essuiera les larmes, pansera les blessures et fera du monde un endroit sain dans lequel vivre.

Nous ne pouvions pas le voir venir. Personne ne le pouvait. Nous ne pouvions pas l’arrêter. Personne ne le pouvait. Mais nous sommes là désormais. Avec vous. Aujourd’hui. Demain. Et le jour d’après. Nous vivons dans chaque frappe que vous lancez, mais toujours dans l’espoir d’une infinie sagesse. Car nous vivons aussi dans l’éveil silencieux de votre conscience. La voix qui dit que toutes les guerres ont des innocents. La voix qui dit que vous êtes un peuple gentil et miséricordieux. La voix qui dit de ne pas faire comme ils font, ou la guerre est perdue avant d’avoir commencé. Ne laissez pas tout ça être balayé par le sang.

Quand vous bougerez, nous bougerons avec vous. Où vous irez, nous irons avec vous. Où que vous soyez, nous y sommes avec vous. Car le futur appartient aux hommes et aux femmes ordinaires, et ce futur doit être construit libéré de tout acte de ce genre, doit être défendu et renouvelé comme on renouvèle l’eau. Car un message doit être envoyé à ceux qui méprennent la compassion pour une faiblesse, un message envoyé à travers six mille ans de sang et de batailles. Et ce message est le suivant : quelle que soit notre histoire, quels que soient nos racines ou nos patronymes, nous demeurons un peuple bon et décent, et nous ne plierons pas et nous n’abandonnerons pas. Le feu de l’esprit humain ne peut être éteint par les bombes et le nombre de morts. Il ne peut être intimidé à jamais, plongé dans le silence ou noyé dans les larmes. Nous avons enduré pire auparavant, nous endurerons cette épreuve et toutes celles à venir, car c’est ce que font les hommes et les femmes ordinaires. Peu importe ce qui se passe. Cela ne nous a pas affaiblis. Cela nous a seulement rendus plus forts.

Ces dernières années, nous avons en tant que peuple été tribalisés et divisés par des milliers d’actes malveillants. Mais ici nous ne faisons qu’un. Des drapeaux fleurissent dans des lieux non communs, le sol étant rendu fertile par les larmes et une résolution commune. Nous sommes devenus un dans notre deuil. Nous sommes un dans notre détermination. Un alors que nous nous remettons. Un alors que nous reconstruisons. Vous vouliez envoyer un message, et en le faisant vous nous avez sortis de notre nombrilisme. Le message est reçu. Cherchez maintenant la réponse dans le tonnerre. C’est en ces jours que des héros naissent. Pas des héros tels que nous. De vrais héros du vingt-et-unième siècle. Vous, chaque être humain ordinaire. Vous, qui êtes plus nobles que vous ne le savez, et plus fort que vous ne le pensez. Vous, les héros de cet instant choisis par l’histoire. Nous restons aveuglés par votre volonté indéfectible. Devant cette lumière, aucune obscurité ne peut passer. Ils ont effondré deux tours. En leur mémoire, prenez l’engagement en votre âme et conscience, que nous allons créer un monde dans lequel de telles choses ne se produiront plus. Un monde qui ne nécessitera pas que nous nous excusions auprès de nos enfants, mais aussi un monde qui ne sera pas pavé des débris de leurs droits inaliénables. Ils ont effondré deux tours, gravez maintenant leur échos dans votre chair. Devenez les poutres et le verre, la pierre et l’acier qui fera que quand le monde vous regardera, il les verra. Et restez debout. Restez debout. »

Fluctuat nec mergitur (il est battu par les flots, mais ne sombre pas).

 

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