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par Elsa - le 22/03/2016
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par Elsa - le 22/03/2016

Toutes les choses de notre vie, de HWANG Sok-Yong

Gros-Yeux aimait sa vie, même si elle n'était pas facile, dans un quartier pauvre de Séoul. Les couleurs du marché, les jolies couturières, les copains, la routine. Son père est en prison, et avec le temps la situation devient vraiment difficile, pour sa mère comme pour lui. 

Alors un jour ils déménagent pour une nouvelle vie, à l'Île aux fleurs. Un nom remplit de rêve, de douceur et de promesse, mais qui n'est en fait que celui d'une décharge à ciel ouvert où ils vont désormais devoir travailler chaque jour.

Une petite habitation de bric et de broc, un maigre salaire, et un quotidien rythmé par les arrivées des camions poubelles dans lesquels eux comme tant d'autres vont devoir trier les déchets pour y dénicher tout ce qu'ils pourront revendre. Les conditions de travail sont très dures, l'odeur pestilentielle leur colle à la peau, le bonheur ne semble pas pouvoir s'immiscer entre les montagnes d'immondices recouverts de mouches. 

Poésie dans une décharge.

Pourtant Gros-Yeux, qui a alors quatorze ans mais se vieillit un peu pour être autorisé à travailler avec sa mère, se fait un ami. Le fils de l'homme qui les a amené là. Le Pelé est vu par tous comme un gamin pas bien malin. C'est pourtant lui qui fera découvrir à Gros-Yeux les secrets et les richesses insoupçonnées de l'Île aux fleurs.

Rares sont les auteurs qui pourraient prendre pour terreau le sol puant d'une décharge, qui plus est dans la Corée des années 90, pour y écrire une oeuvre d'une telle puissance, et d'une telle délicatesse. Toutes les choses de notre vie c'est, entre les lignes, une critique féroce et pleine d'intelligence de la vie en Corée du Sud, de sa dureté. C'est aussi une critique de notre société de consommation, où les riches se débarassent à outrance pendant que les pauvres sont contraints, au péril de leur vie, de fouiller leurs poubelles pour subsister. Cette image seule suffit à raconter toutes les inégalités, les injustices entre les mieux et les moins biens lôtis.

Chacun des personnages de cette histoire est passionnant, subtile. Il y a surtout cet improbable duo d'adolescents, qui au fil des pages et du temps se lient comme des frères, et s'apportent l'un à l'autre ce qui leur manquait le plus.

Le récit est rempli d'émotions qui tourbillonnent en tous sens et nous obligent à tourner les pages les unes après les autres, sans jamais abandonner Gros-Yeux. Malgré cette routine horrible, les sentiments, les émotions des uns et des autres, rythment l'ensemble avec une intensité rare, et parfaitement maitrisée.

Et si le contexte de ce livre est misérable, on y découvre pourtant une poésie inattendue, parfois saupoudrée d'une petite dose de fantastique qui amène l'histoire dans des contrées inattendues. HWANG Sok-Yong rend sublime ceux que tous préfèrent ignorer, à cause de l'odeur mais pas que. Il redonne toute leur humanité, bouleversante et d'une justesse incroyable, aux laissés-pour-compte, à ceux qui ont arrêté d'attendre quoi que ce soit de la vie, parce qu'elle ne leur a jamais rien donné.

La langue est belle, l'histoire est belle. C'est une histoire dure, et une violente critique de la société coréenne, mais il émane aussi de ce roman à part une lumière, une douceur, une gentillesse, qui font beaucoup de bien. Comme une déclaration d'amour à l'humanité mise à nue, un récit qui s'infiltre profondément en nous, nous sert les tripes et nous rappelle de ne jamais oublier de vivre, intensément.

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