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par Arno Kikoo - le 22/09/2017
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par Arno Kikoo - le 22/09/2017

American Monster - Tome 1, la critique

Arrivé sur le marché américan en 2015, l'éditeur indépendant Aftershock Comics commence tout doucement à exporter ses titres sur le territoire français. Pour amorcer leur venue, c'est Snorgleux Comics (branche d'édition de la librairie spécialisée marseillaise L'Antre du Snorgleux) qui se jette dans le bain avec deux nouveaux albums dont nous allons vous parler sur 9eme Art. Le premier n'est autre qu'American Monster, polar hyper-noir de Brian Azzarello (100 Bullets) et Juan Doecover artist prolifique qui oeuvre d'ailleurs beaucoup comme artiste chez ce nouvel éditeur.

Welcome to Hell

Dans ce premier tome comprenant les cinq premiers numéros de la série, une petite ville est perturbée par l'arrivée d'un inconnu, massif et complètement défiguré. Son apparence effraie, et ses intentions ne sont connues de personne. Petit à petit, le lecteur est invité à découvrir les habitants de cette bourgade, et très vite on se rend compte du talent d'Azzarello à dépeindre des êtres humains dans tout ce qu'ils ont de plus laid.

L'American Monster du titre, contrairement à ce que l'on pourrait penser au départ, ce n'est pas seulement cet homme littéralement monstrueux, car le monstre réside à l'intérieur de chacun. L'auteur réussit à faire ressortir ce qu'il y a de pire en toute personne, ou à magnifier la façon dont chacun peut agir d'une mauvaise façon, avec à la base de bonnes intentions.

La construction des personnages est taillée au couteau et il n'y a pas un protagoniste qui ne soit immédiatement terriblement charismatique. Du chef de gang brutal au grand coeur, au shériff désillusionné, jusqu'à la fille paumée qui vend son corps pour oublier sa vie pourrie. Qu'on ne s'y trompe pas, Brian Azzarello nous plonge dans une ambiance très noire, pour un polar à son meilleur niveau. 

Si la caractérisation fonctionne aussi bien c'est aussi parce que les dialogues d'Azzarello sont imparables. On ressent un parler dur et les répliques fusent de toutes parts, non sans une certaine violence qui participe à l'ambiance polar. À plusieurs reprises même, on se prend à rire de bon coeur de certaines punchlines qui font mouche - et on pourra d'ailleurs féliciter le traducteur pour avoir su retranscrire l'intensité des lignes d'Azzarello.

Quant à l'histoire, là aussi elle se révèle bonne à tous égards. L'auteur part d'une situation assez classique, celle de l'étranger qui arrive en ville. Il va perturber le quotidien de tous et en faire remonter les secrets, tissant un enchevêtrement d'évènements faisant référence aussi à des problèmes sociétaux actuels, que ce soit en amérique ou ailleurs. Le monstre américain, c'est aussi cette montée de la haine entre chacun, les incivilités qui se dévoilent au grand jour, la façon dont certains profitent de la situation des autres pour leur propre plaisir. Un mélange amer et douloureux qui fait reconsidérer notre foi dans le genre humain.

Mais en termes de narration pure, l'auteur excelle dans sa capacité à tisser une intrigue de plus en plus complexe. Et surtout dans laquelle chaque fil narratif croise et rejoint un autre, pour amener un cheminement de vases communicants, dans lequel les actions des autres entraînent des conséquences inéluctables. Avec un pessimisme ambiant qui flirte avec le nihilisme, tant l'espoir se fait vain au fil du récit.

Des dessins au top pour American Monster

American Monster fonctionne aussi de la meilleure des façons d'un point de vue graphique. Juan Doe, dont le style marqué sert d'emblée le récit, préfère les cases sur toute la largeur de la planche pour adopter un point de vue assez cinématographique. Ce qui ne l'empêche pas de varier son découpage pour mettre en avant l'action quand il le faut, avec toujours cette impression de voir un polar se dérouler sous nos yeux. Et comme son auteur, Juan Doe n'hésite pas quand il faut faire basculer le récit dans le ton le plus noir possible, avec des éclats de violence qui viendront secouer le lecteur comme il se doit.

L'artiste compose de façon généreuse pour emmener son lectorat dans cet univers hyper marqué. Il faudra également souligner le soin avec lequel Doe met en couleurs ses propres dessins. Les couleurs s'allient aux différentes ambiances et aux décors, avec des tons rouges qui rendent les scènes les plus violentes encore plus viscérales, et une attention particulière sur les tons noirs et l'ombrage qui viennent apporter un juste relief aux personnages. Vous l'aurez compris, Brian Azzarello a trouvé en Juan Doe un parfait partenaire pour cette collaboration.

Pari réussi pour Snorgleux Comics avec ce premier tome d'American Monster (dont on s'inquiétera juste pour la suite, puisqu'à ce jour seul le numéro #6 est sorti aux US). Les amateurs de polars les plus bruts seront aux anges avec l'écriture acérée et jouissive d'un Brian Azzarello jusqu'au-boutiste bien décidé à montrer le pire de l'être humain, sous toutes ses facettes. Dans une histoire haletante et sans concession magnifiquement servie par les dessins de Juan Doe. À ne pas mettre entre toutes les mains, peut-être, mais pour les amoureux du genre : c'est à lire, sans aucun doute !

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