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par Elsa - le 13/06/2014
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par Elsa - le 13/06/2014

August Moon, la critique

Les bandes dessinées 'farfelues', entre humour absurde et onirisme, sont légions. Pourtant, très voir trop souvent, le résultat tombe un peu à plat. L'équilibre est fragile. Entre l'excès de premier degré et de réalisme, dans une histoire qui ne devrait pas se prendre au sérieux, et le grand n'importe quoi dans lequel on se perd complètement, jusqu'à ne plus ressentir de plaisir de lecture, la bande dessinée a vite fait de ne pas vraiment emporter le lecteur avec elle.

Partant de ce fait, on peut dire que Diana Thung est particulièrement talentueuse. Parce qu'avec August Moon, elle livre une petite bande dessinée savoureusement farfelue, belle, drôle, sombre, barrée, et véritablement pleine de surprise.

"Mec ! Y'a des ours sur le toit !"

Eric Gan et sa fille Fi viennent passer quelques temps dans la ville de Calico. Le cadavre d'une drôle de créature a été découverte, et on a appelé ce chercheur pour l'étudier. Ils logent chez Simon, l'oncle de Fi. La mère de cette dernière est décédée quelques années plus tôt.

Malheureusement, la créature a disparu, et Eric va devoir essayer de trouver d'autres spécimens dans la forêt. En parallèle, l'étrange et lunaire Jaden tente d'aider et de protéger ses amis, et des hommes inquiétants viennent de louer le local accolé au commerce de Simon, pour y vendre des glaces.

"Filly Nilly Glaciii."

Si je n'avais le droit qu'à une phrase pour vous décrire August Moon, et vous expliquer pourquoi j'ai tellement aimé, je vous dirais juste que c'est le croisement improbable d'un film de Miyazaki et d'un manga d'Atsushi Kaneko. Il y a dans ce roman graphique un mélange d'onirisme asiatique et de noirceur un soupçon dérangeante, tout droit venue de la bd underground, américaine comme japonaise. Et le mélange fonctionne parfaitement. La mise en scène est en même temps angoissante, un peu glauque, et lumineuse et joyeuse comme des jeux d'enfants. C'est surtout à travers Fi que l'on découvre l'histoire, alors même qu'elle se confronte pour la première fois véritablement au souvenir de sa mère, et qu'elle rencontre Jaden. La petite fille, renfermée mais curieuse, toujours planquée sous son casque, coupée du monde, va tout à coup lever les yeux, et découvrir devant elle bien plus que tout ce qu'elle aurait pu imaginer. 

À Calisto la fête des feux-follets se prépare... Ne sont-ils vraiment qu'une légende pour émerveiller les enfants ?

August Moon est vraiment différent, rafraîchissant, et délicieusement surprenant. Un univers construit à partir d'un mix improbable d'influences, qui fonctionne à merveille. On est immédiatement projeté dans l'atmosphère étrange qui pèse sur Calisto, et rien ne va jamais nous sortir de notre lecture. Jaden a un langage bien à lui ? On s'y fait tout de suite. Dest sortes de lapins-ours se promènent dans les rues la nuit ? Pas besoin qu'on nous explique qui elles sont pour y croire. Tout passe comme sur des roulettes, sans explication, ni mise en situation. C'est assez dingue. Tous les personnages (et ils sont nombreux) sont denses, complexes, attachants. À part bien entendu ces espèces d'hommes en noir dont on voit bien qu'ils n'ont rien de sympathique.

L'histoire est jolie, bien rythmée, drôle et touchante en même temps. Diana Thung aborde des sujets pas si faciles avec une délicatesse et une simplicité désarmantes. Son écriture est d'apparence simple, ses dialogues aussi, mais il y a derrière tout un univers un peu dingue, et une énorme dose de poésie. C'est comme si d'un coup de crayon elle faisait basculer le quotidien dans autre chose, en nous faisant voir le monde à travers les yeux des enfants.

Graphiquement, on sent des influences manga et comics. Et là encore, le mélange est tout en subtilité. En fait c'est un peu comme si l'auteure parvenait à toujours tirer le meilleur de tout ce qu'elle voit, le digérer puis livrer un résultat troublant mais incroyablement maîtrisé. Le trait est un peu étrange, dérangeant, mais beau et élégant. Il y a beaucoup d'émotion dans ses visages, dans la gestuelle de ses personnages aussi. Et puis il y a les adorables créatures un peu folles qui semblent échappées d'un film Ghibli (en ayant au passage troqué un soupçon de leur poésie naturelle contre une grosse dose de cool). Elle joue également admirablement avec le noir et blanc, le noir dévorant parfois les cases avant de presque disparaître pour laisser la place à la lumière et au silence du blanc.

Je crois qu'il est difficile, en réalité, de vous expliquer pourquoi August Moon est si bien. C'est une bande dessinée surprenante, on y devine beaucoup d'influences, mais Diana Thung les revisite totalement. C'est bien écrit, joliment farfelu, émouvant, drôle, sombre, délicat, un peu dingue. Lunaire, en fait. Cette même atmosphère un peu suspendue, étrange, que dans Wet Moon, mais bien moins glauque et oppressante. C'est comme redécouvrir un paysage sous l'éclairage un peu bizarre provoqué par la lune. Diana Phung est assurément une auteure à suivre de près.

 

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