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par AntoineBigor - le 15/03/2016
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par AntoineBigor - le 15/03/2016

Batman Black & White - Tome 1, la critique

Lorsque Marko Chiarello aborde l’idée d’un titre anthologie sur Batman, c’est un hommage à peine masqué qu’il porte au travail de son mentor, Archie Godwin. Le légendaire éditeur de la revue horrifique Creepy a marqué toute une génération en créant un titre bouillonnant de qualité et d'idées, permettant, à l'époque, à tout un tas d'artistes, comme Richard Corben ou encore Kevin Nowlan, de laisser libre court à leur créativité pour devenir, aujourd’hui, des légendes et sources d’inspirations revendiqués pour tous les dessinateurs.

Lorsqu’arrive Batman Black & White en 1996, la pression est bien moindre mais l'idée est avant tout de se faire plaisir, en laissant tout un tas de créateurs imaginer leur vision du personnage de Bob Kane et Bill Finger. La promesse est riche, la découverte l’est encore plus.

Jamais publiée en français - à quelques exceptions près pour certaines histoires publiées en bonus d’autres oeuvres -  Urban Comics collecte dans ce premier volume 34 récits de huit pages, tous en noir et blanc, exercice imposé par l'éditeur aux artistes lors de leurs réalisations. L’ouvrage est lourd, volumineux, et édité avec grand soin. En témoigne la présence de petits textes introduisant chaque artiste avant leurs histoires, de pages de gardes pour aérer l'album ainsi que de bonus qui, s'ils sont un peu maigres, font toujours autant plaisir aux yeux. Mais au delà de l’objet, fort d’un grand format bien senti, c’est la liste de noms qui le compose qui coupe le souffle dès les pages de garde. On y retrouve, pêle-mêle, Paul Dini, Alex Ross, Neil Gaiman, Paul Pope, Joe Kubert, Bruce Timm, Klaus Janson… et tant d’autres, formant une œuvre schizophrène et pourtant cohérente sur le chevalier noir.

Ce volume 1 de Black & White est d’une richesse infinie, en cela qu’il mélange tellement de styles et d’influences de page en page qu’ils en forment une remarquable et frénétique peinture du personnage. L’exercice stricte des huit pages en noir et blanc force intrinsèquement les auteurs à synthétiser leurs idées et concepts, tout en leur permettant une liberté sans pareil quant au ton, aux propos et à l’esthétique choisie. Et si on peut en déterminer plusieurs genres distincts, du récit introspectif à d’autres plus symboliques ou méta, il apparait tout de même difficile de les catégoriser. Chaque auteur étant unique, les histoires le sont tout autant. C’est en cela que le plaisir de lecture réside : la découverte de chacune de ses visions, et ce qu’elles vont amener à l’univers de Gotham en quelques pages. L’occasion pour un Bruce Timm de raconter l’histoire tragique de la guérison d’Harvey Dent, pour un Walter Simonsson de représenter un héros high tech en symbole de la résistance au pouvoir, pour un Neil Gaiman de jouer avec les codes même de la BD pour un récit méta des plus hilarants… Un ensemble des plus hététogènes.

Les histoires s’enchainent, et l’album continue à prendre en densité. Si l’on trouvera quelques histoires un peu en deçà des autres, il est assez difficile de trouver de vrais gros défauts. Certaines manquent un peu d’originalité, d'autres sont un peu moins belles… Mais toutes ont cette capacité à marquer l’esprit par une idée fulgurante ou un travail séquentiel impressionnant. Une richesse graphique remarquable, allant du cartoony Matt Wenger au plus musclé Simon Bisley en passant par les traits fins et prcécis de Gary Gianni. Le travail sur le noir et blanc sublime d’autant plus les planches, d'une simplicité et d'une pureté assez impressionantes.

En plus d’être des visions ultra-personnelles et incroyablement beaux, ses récits sont autant de petite thèses sur le personnage même ou sur des thématiques plus éloignées. La quête d’identité, le deuil, l’éducation, la dimmension cyclique de l’Histoire, le rapport dominant/dominé, le libre arbitre, l’évolution de la société… Autant de thèmes traités en si peu de pages forcent le respect, surtout quand ils arrivent à faire réfléchir après la lecture. Le format a cela de génial qu’il permet cet forme d’inception avant l’heure. Mais rassurez-vous, l’ouvrage n’est pas qu’un amas indigeste des thèses et scénarios verbeux, la richesse dont fait preuve le 9eme art amenant aussi son lot de récits légers, humoristiques même, avec le duo Ty Templeton/Marie Severin qui se prête à la caricature ou encore Chris Claremont qui nous offre un Bruce Wayne en baby-sitter.

A la fermetures des 368 pages que forment l’album, une certitude saute à la figure : cette série est précieuse. Déjà parce qu’elle réunit des légendes - passées et contemporaines - des comics comme rarement éditeur ne l’aura fait, arrivant à convaincre des artistes comme Katsuhiro Otomo ou Brian Bolland à livrer des mini chef d’oeuvres intemporels. L'ouvrage en devient un témoignage, fascinant grâce à ses multiples facettes, sur la marque qu'aura laissé un personnage dans une industrie, mais également dans les mémoires et un inconscient collectif qui ne s’en sont toujours pas remis.
On regrettera uniquement l'absence de pages de Mike Mignola, qui se contente de la couverture, ou encore le travail très limite de Jim Lee, pourtant sur l'histoire la plus politique de l'album, scénarisé par Warren Ellis.

Que dire de plus d'un ouvrage qui compte en son sein des dizaines d'artistes de toutes les nationalités, d'Otomo, à Gaiman, d'Azzarello à Claremont, et qui transpire son amour de Batman? L'album est un incontournable, s'appreçiant autant d'une traite qu'en le picorant. Et il serait vraiment dommage de le rater tant il déborde d'inventivité et de talents.

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