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par AntoineBigor - le 9/05/2016
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par AntoineBigor - le 9/05/2016

Batman - La Malédiction qui s'abattit sur Gotham, la critique

Avant d’avoir son propre petit bout d’univers chez Dark Horse, Mike Mignola a travaillé pour Marvel et DC Comics, comme beaucoup d’autres dessinateurs avant lui. Son passage chez la Distinguée Concurrence vers la fin des années 80 est notamment marqué par l’excellente mini-série Cosmic Odyssey, écrite par Jim Starlin, ou encore le récit victorien Gotham by Gaslight, de Brian Augustyn. Dans ses deux récits, l’auteur y fait preuve de ses deux fascinations : Jack Kirby et son univers cosmique d’un côté et H.P. Lovecraft et son panthéon noir de l’autre. Cette dernière passion l’amènera à créer son Hellboy, mais lui inspirera également, au début du XXIème siècle, l’idée d’une malédiction qu’il abattit sur Gotham.

Cette malédiction a lieu dans les années 20, où après des années d’exploration, Bruce Wayne rentre à Gotham, la cité qui l’a vu naître mais qui a également vu la mort de ses parents. Il y revient à la suite d’une mystique découverte dans les glaciers arctiques, où une force obscure a été libérée et envahit peu à peu la ville. C’est alors qu’il va devoir enfiler son costume de chauve-souris pour enquêter sur la source de ce pouvoir et sur sa nature corruptrice et ténébreuse. Avec un tel synopsis, on le voit venir le bon Mignola. Gros comme une maison. Lui qui a dédié une bonne partie de son travail de scénariste à rendre hommage et à transcender les écrits d’H.P. Lovecraft dans du comic-book très pulp, il ne pouvait que réitérer l’exercice sur le personnage de Batman. Son but ici est simple : plonger cette figure gothique la tête la première dans l’incroyable mythologie fantastique du romancier.

Ayant marqué le début du XXème siècle de ses oeuvres horrifiques, de La Cité sans Nom jusqu’aux Montagnes Hallucinées en passant bien évidemment par L’Appel de Cthulhu, Lovecraft a inspiré toute la pop culture moderne, tout comme lui-même s’est inspiré de ses prédécesseurs, comme Edgar Allan Poe ou Arthur Machen. Un bain d’influence qui va traverser cette Malédiction qui s'abbatit sur Gotham, épousant parfaitement l'univers de son héros, création complexe et fascinante de Bob Kane qui flirtait déjà avec le mystique au travers des personnages comme Ras Al Ghul ou encore Etrigan Le Démon. Mike Mignola, épaulé de Richard Pace à l'écriture, va ainsi livrer un récit particulièrement soigné, en forme de lettre d’amour totale à la fois à l’écrivain et au héros nocturne. Construisant petit à petit son histoire en introduisant divers thèmes et concepts lovecraftiens, le scénariste redéfinit assez brillamment l’univers du chevalier noir, avec une réinterprétation très intéressante de ses personnages et un jeu de référence assez riche.

Plus qu’un simple hommage, Mike Mignola livre ici un récit incroyablement dense et pourtant bien rythmé, avec une construction crescendo qui amène fatalement à un affrontement final dantesque et sombre, s'inspirant autant du bestiaire que de la philosophie des écrits de Lovecraft. Cette construction porte pourtant la paternité d'un Mignola qui ne dessine pas cette mini-série, mais qui a certainement défini le découpage, avant que Richard Nixoy ne réalise ses planches, tant son découpage semble familier. Si le dessinateur a un peu de mal sur les visages de ses personnages dans les premières pages de l’album, il fait preuve d’une incroyable maitrise en ce qui concerne les décors et d’un soin tout particulier pour les ambiances et autres éléments fantastiques. La narration est fluide, limpide, avec une richesse dans la construction des planches, définitivement marquée des codes graphiques de son scénariste.

Le talent de Mike Mignola en tant que chef d’orchestre, capable d’adapter le trait et le style de tous les auteurs qui collaborent avec lui à son propre travail narratif, est impressionnant et force le respect, tant il maitrise encore aujourd'hui sa méthode. Il réalise également un court récit, aux scénarios avec Dan Raspler, mais également aux dessins, qui complète le programme de l'ouvrage. Un histoire complètement déconnectée de la mini-série principale, mais aux influences partagées. Cette fois-ci, le Batman de notre époque est plongé dans un dialogue profond et un jeu d’esprit avec un vampire qui essaye de se nourrir de lui pour ressusciter. Un récit très horrifique mais également philosophique, avec un jeu malin sur l’écriture et les échanges entre ses deux protagonistes. Les dessins de Mignola rappellent par moment son style assez mainstream de Cosmic Odyssey tout en penchant de plus en plus vers le trait particulier et plus personnel qu’il a depuis quelques années. Et encore une fois, en quelques pages, Mike Mignola fait preuve de son esprit de synthèse et de l'efficacité de ses structures narratives, à la fois simples et pourtant incroyablement bien construites.

Avec La Malédiction qui s’abattit sur Gotham, Mike Mignola signe une véritable lettre d’amour au personnage du Batman, qui sera celui sur lequel il aura le plus travaillé dans le mainstream, et au romancier H.P. Lovecraft, source d’inspiration intarissable dont l’univers d’Hellboy est emprunt de toute part. Ce récit peut ainsi s’apprécier comme la transition définitive de Mike Mignola entre le super-héros mainstream et le mystico-fantastique, autant que comme une variation originale et passionnante sur le Chevalier Noir. Surtout, malgré la participation d’autres auteurs, Mike Mignola vampirise totalement l’ouvrage de son talent et offre peut-être l’un des meilleurs Elseworlds de DC Comics.

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