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par Arno Kikoo - le 1/03/2018
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par Arno Kikoo - le 1/03/2018

Britannia : plongez du côté obscur et torturé de Valiant

A côté de son (fantastique) univers super-héroïque, Valiant s'essaie à d'autres genres. Et c'est le cas pour Britannia, que Bliss Comics nous fait le plaisir d'amener du côté de l'hexagone en ce début d'année. Il faut dire que pour cette épopée ancrée dans l'antiquité romaine, entre intrigue "policière" avant l'heure, mysticisme et horreur, les noms de Peter Milligan et Juan José Ryp nous offraient un apriori déjà positif. Et qui ne nous a pas trompés. Explications.

Oubliez donc ce que vous avez eu l'habitude de lire la plupart du temps chez Valiant, ici les capes et les costumes sont romains ou celtes. Nous sommes en l'an 65 après la naissance du Christ, à l'apogée du règne de l'empereur Néron, que Milligan choisit de dépeindre selon les récits (plus ou moins fondés) qui font l'étalage de sa cruauté. C'est que l'auteur britanique aime ce genre de personnages et les ambiances torturées, et il s'en donnera donc à coeur joie. L'empire Romain connaît quelques problèmes à ses frontières, et notamment en Grande-Bretagne, où le centurion Antonius Axia est envoyé pour enquêter sur des évènements sombres et morbides, qui ne semblent pas tenir du naturel. Axia est doté d'un certain don, qui lui a été enseigné par les vestales, un groupe de femmes influentes au sein de l'Empire, dont on dit qu'elles détiennent quelques facultés magiques. Arrivé en Bretagne (la grande, donc, pas la notre), Axia doit se heurter à une ambiance plus qu'hostile, que ce soit de la part de ses confrères, des autochtones - et d'un démon ?

Quand le récit d'enquête se teinte d'horreurs

Britannia a l'avantage d'être un récit facile d'accès puisqu'en dehors de toute continuité liée à l'univers Valiant en général (on pourrait regretter de ne pas y trouver une seule référence, un petit caméo d'un frère Anni-Padda). L'introduction est efficace et donne tout de suite le ton général de l'oeuvre. Milligan nous sert clairement un récit d'enquête revisité dans son contexte historique mâtiné de fantastique, et d'une grosse couche d'horreur. L'auteur est rarement tendre dans ses récits, aussi le lecteur se devra d'être averti : la violence, le sexe, le sang seront légion, pour un voyage aux confins de monstruosités et des abîmes de la folie. Mais un voyage qui sied particulièrement à cette époque antique, où l'on s'imagine bien un quotidien difficile pour tous, et qui n'est pas forcément beaucoup visitée dans les comics. L'auteur en profite pour mêler questionnements des personnages sur leurs croyances, puisque les idéologies aussi s'affrontent, ainsi que les convictions des protagonistes. On appréciera à cet égard de retrouver diverses influences mythologiques, notamment en ce qui concerne la culture celte, ses druides et sa magie.

Les personnages sont assez archétypaux et si Antonius Axia jouit d'un certain charisme, on pourra trouver que Milligan ne se creuse pas trop dans le développement des personnages secondaires. On se doute que les méchants sont vraiment méchants, que tel ou tel personnage féminin fera office de femme fatale. Et en même temps, en reprenant les codes du genre noir, doit-on vraiment être surpris ? Ce qui compte c'est le dépaysement, et la prise de conscience au fil du récit que Peter Milligan est tout simplement en train de nous présenter le premier enquêteur dans la jeune histoire de l'humanité. Une enquête difficile, où le risque de perdre la raison est grand, notamment au terme de vision horrifiques particulièrement intenses.

Une partie artistique en accord avec son récit

C'est là que le choix de Juan José Ryp révèle toute sa pertinence. Bien présent chez Valiant, on a déja pu retrouver l'artiste sur des épisodes particulièrement brutaux d'Eternal Warrior, et si vous vous êtes aventurés du côté de Crossed, alors vous connaissez l'aisance de l'artiste dans tout ce qui touche à l'horreur, toute graphique qu'elle soit. L'artiste a un trait taillé pour le genre, et un dessins précis et plein de détails. Il réussit à dépeindre à la fois l'horreur dans ce qu'elle a de surnaturel, mais aussi celle qui est profondément humaine, rendant certains des personnages particulièrement hideux. Une laideur sublimée par les dialogues sans consession (dans le propos et la vulgarité) d'un Milligan qui aime se lâcher.

On le répètera alors puisqu'on parle des dessins, Britannia s'adresse à un public averti. Outre les visions d'horreur au design inventif, le trait de Ryp sert aussi à dépeindre une ambiance générale assez sale, de nombreux personnages (Néron le premier) adoptant des attitudes obscènes et violentes, qui s'illustrent parfaitement dans le dessin. Mais Ryp a aussi ce sens de la mise en scène et du découpage qui font de cet ouvrage une lecture dans laquelle on rentre facilement, et l'on sent que l'artiste prend du plaisir à illustrer ce récit décadent. Comble du bonheur si cette aventure en stand alone vous a charmé, une suite est prévue pour cet été. 

Âmes sensibles s'abstenir, Britannia est une enquête policière (si vous me permettez l'expression) brutale, où la cruauté humaine se mêle aux horreurs démoniaques, pour une histoire étouffante et prenante à la fois. Milligan fait don de son savoir faire pour ce genre d'ambiance malsaine, aux bords de la folie, pour délivrer un récit efficace, et qui a le mérite de se démarquer du reste des productions Valiant. Le dessin de Juan José Ryp est parfait pour l'occasion, et l'on a donc assez hâte de découvrir la prochaine aventure d'Antonius Axia. 

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