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par Alfro - le 16/04/2014
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par Alfro - le 16/04/2014

Clair Obscur, la critique

L'Histoire de France n'est jamais aussi bien comprise que par ceux qui ne conçoivent pas que l'on puisse manger des cuisses de grenouilles ou des escargots. Ainsi, quand un couple de Canadiens se met en tête de placer l'intrigue de leur bande dessinée durant l'Occupation, ce n'est pas pour nous ressortir des poncifs sur le béret et la baguette sous le bras.

"Des tableaux. De vilains veillards. De prostitués. Et de politiciens."

Au scénario, on retrouve Kathryn Immonen, que les lecteurs de comics mainstream connaissent bien pour être une stakhanoviste de Marvel, qui a scénarisé de nombreuses séries pour le compte de la Maisons des Idées. Pas forcément les plus grandes d'ailleurs, même si elle officie désormais sur le titre historique de Thor : Journey Into Mystery. Dans ce travail plus personnel, elle situe son histoire bien loin des encapés et vilains qui veulent dominer le monde. Quoique. Hitler n'est pas loin de ce récit qui se déroule dans un Paris qui subit l'Occupation nazie. Nous y découvrons Ila Gardner, une Canadienne qui travaille au Louvre et essaie de sauver le maximum de tableaux de la rapacité des conquérants. D'ailleurs, en petites touches subtiles, la scénariste met très bien en place un contexte  documenté, sans forcer.

Car son objectif n'est pas de décrire une époque, mais de raconter comment une femme, étrangère, seule et pas vraiment en odeur de sainteté, va tout faire pour sauver l'objet de sa passion de la cupidité des hommes. Comment elle va essayer aussi de sauver son amie, qui visiblement ferait mieux de ne pas se faire attraper par les hommes aux pardessus en noir. C'est là toute la force de son récit, elle évoque toutes les horreurs de la guerre, tous ces événements que l'on a digéré, sans jamais les dire nommément. Il existe toujours un décalage quand, pour les besoins de la narration, un personnage fait un résumé de la situation alors qu'il la vie au jour le jour. Ici, elle préfère nous servir une tranche de vie et pour la justesse des dialogues ciselés, elle prend le parti de faire comme si nous étions juste des spectateurs de la vie d'Ila, une vie qu'elle mène sans se soucier du quatrième mur.

"Qu'est-ce que tu y connais en pardon ?"

Ce choix narratif va renforcer la tension de la scène centrale, un interrogatoire dans la plus pure tradition des polices secrètes, où l'interrogateur se sert de l'angoisse créée par le fait de ne pas savoir de quoi l'on est accusé. Les autres scènes qui tournent autour, sans suite chronologique mais qui appuient le sens des insinuations que s'envoient Ila Gardner et Rolf Hauptmann. Le drame que jouent les deux protagonistes, et qui débouche sur une révélation qui terrifie tant elle tarde à venir alors que l'on s'en doute tout du long, condense le principe de terreur inspiré par l'époque, et est finalement plus juste qu'une banale exposition d'événements dont on ne pourrait appréhender la portée affective avec seulement des données factuelles. Même s'il faut reconnaître que cela à le défaut de passer tous les subplots au second plan et que certaines intrigues ne sont jamais résolue alors qu'on aurait bien aimé avoir le fin mot de l'histoire.

L'autre membre du duo créatif n'est autre que son mari, Stuart Immonen. Là encore, même plus, les lecteurs de super-héros connaissent bien son travail. Véritable star de l'industrie, il est connu pour son dessin fouillé, détaillé et dynamique. Un paroxysme du genre mainstream. Gros contrepied ici où il revient à ses premières amours en livrant un dessin en noir et blanc, Clair Obscur tout ça, où l'ombre et la lumière vont construire un espace narratif fort. Dans un dessin stylisé qui risque de dérouter ceux qui le suivent régulièrement sur All-New X-Men, il joue avec les codes du huis-clos et s'amuse régulièrement à laisser le dessin en suspens, pour mieux souligner l'atmosphère qui se fait pesante. Quel contraste d'ailleurs avec une scène intime entre Ila et un personnage qu'il vous reste à découvrir, ce sentiment de liberté contraste avec la connaissance de qui est cet homme. C'est donc un éternel jeu d'aller-retour que nous livre les époux Immonen et qui construit cette histoire tragique.

Vents d'Ouest accueille donc une BD qui n'est ni un comics ni une production franco-belge. Quelque part entre les deux. Ce qui tombe bien, puisqu'on est toujours entre deux chaises dans ce récit, liberté/huis clos, amour/haine, clair/obscur. Kathryn et Stuart Immonen aiment surprendre leurs lecteurs en brouillant les pistes, mais arrivent quand même à livrer un récit d'une rare authenticité.

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