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par Elsa - le 26/01/2015
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par Elsa - le 26/01/2015

Doctors, la critique

Dash Shaw est notamment connu pour son très remarqué Bottomless Belly Button. Avec Doctors, il livre un récit de science fiction sombre, planant, qui explore le refus de notre société occidentale d'accepter la mort comme partie intégrante de la vie. 

Se jouer de la mort...

Le docteur Cho a créé le Charon, un appareil médical qui permet de ramener les morts à la vie. Dans la mort, chacun se créerait une suite de vie à la hauteur de ses attentes, et c'est là que Tammy Cho, la fille du docteur, intervient, propulsée dans cet au-delà grâce au Charon, sous les traits d'une personne proche du défunt, pour le convaincre de revenir à la vie.

Expérience clandestine menée dans un sous-sol new yorkais, le Charon sert les intérêts des plus riches. Tout à coup, un gros chèque permet de refuser d'avoir à faire son deuil ou, plus prosaïquement, d'encourager un parent à faire quelques aménagements post-mortem sur un testament qui ne nous convenait pas. Mais jouer avec la mort ne se fait pas sans conséquence, et chacun des acteurs de cette histoire risque de rapidement en payer le prix.

... et en payer le prix.

Tout commence avec la mort de Mme Bell, ou plus exactement sa vie après la mort, dans laquelle Tammy Cho s'immisce pour la ramener avec elle. Une fois ressuscitée, le récit s'éloigne un peu de cette protagoniste pour se concentrer sur Tammy, son travail et ses interrogations à son sujet. L'auteur nous laisse spectateur de son monde étrange où la mort ressemble à la vie, et où la vie, finalement, ressemble un peu à la mort, à ceci près qu'on se pose plus de question quand on a encore un pouls. Le récit est très découpé, une scène se déroulant souvent sur une seule planche, donnant un peu l'impression froide d'une série de diapos qui défileraient devant nos yeux, instantanés qui mis bout à bout composent une histoire. Une expérience intéressante mais qui empêche la plupart du temps de véritablement s'immerger dans l'histoire.

La réflexion sur la mort, la science, n'est pas nouvelle, mais la simplicité avec laquelle Dash Shaw met en place sa technologie avancée est d'un réalisme cynique. Pas d'immense immeuble à l'architecture futuriste, pas de machinerie au design savamment étudié, le Charon c'est deux lits d'hôpitaux et un ordinateur dans un vieux sous-sol poussiéreux. Rien de bien impressionnant visuellement, et pourtant on y trouve trois scientifiques qui jouent à annuler le travail de la Grande Faucheuse contre pas mal de billets. L'auteur explore cette volonté de nier la mort, et ses raisons loin d'être grandioses, tout en imaginant un au-delà qui bouscule notre propre rapport à la mort.

Le dessin de Dash Shaw est assez simple, un peu naïf. On ne peut pas dire qu'il soit beau, mais il ajoute à l'atmosphère étrange de l'ensemble, notamment avec les regards vides et profonds à la fois des personnages, qui semblent souvent nous interpeller. Même à l'intérieur d'une planche, l'auteur expérimente au sein de sa narration, avec des cadrages qui alternent très gros plans et vue d'ensemble comme un regard qui se baladerait dans une pièce, s'arrêtant par moment sur des détails, pour un résultat contemplatif, assez froid, et souvent très silencieux. Le dessin est en noir et blanc, et c'est la couleur du fond des pages qui varie, renforçant encore le côté diapo et expérimental de l'ensemble, puisque les choix de couleurs ne semblent pas forcément avoir un sens.

Doctors est donc un exercice de style un peu déstabilisant. Beaucoup d'éléments provoquent un malaise intéressant, mais le découpage très marqué offre un résultat assez froid et empêche de vraiment s'immerger dans l'histoire. Le noir et blanc souffre un peu du choix de l'auteur de placer des fonds colorés d'une manière apparemment aléatoire. Le sujet, lui, est intrigant et développé d'une manière originale et qui pousse à la réflexion, si l'on arrive à passer outre la forme du livre.

La 20th Century Fox a acquis les droits de la bd à l'automne dernier en vue d'une adaptation cinématographique, le Charon est donc loin d'avoir dit son dernier mot.

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