Tout le monde connait Don Quichotte, mais beaucoup moins nombreux sont ceux qui ont réellement lu l'oeuvre de Miguel de Cervantes. Les oeuvres, même, puisque Don Quichotte, ce sont en fait deux romans parus à dix ans d'intervalle qui sont, loin de l'image que l'on pourrait avoir d'un 'classique de la littérature', des sommets d'humour et de folie douce d'une modernité étonnante.
Alors, quand Rob Davis décide d'adapter Don Quichotte, il peut compter sur Cervantes pour lui offrir tout le matériel nécessaire à une bande dessinée désopilante.
D'Alonso Quechana à Don Quichotte de la Manche.
C'est l'histoire d'un vieil homme tellement accro aux romans de chevalerie qu'il a liquidé la quasi totalité de sa fortune pour s'en procurer, et passe ses journées à les lire avec avidité. Tant et si bien que son imagination fertile finit par le convaincre qu'il EST un chevalier. Alors Alonso Quechana, rebaptisé par ses propres soins Don Quichotte de la Manche, sur sa vieille carne Rossinante, s'en va chercher l'aventure là où elle l'attend. Bientôt, il trouve en Sancho Panza, fermier de son état, un fidèle acolyte pour l'accompagner dans ses plus périlleuses missions.
Le problème quand on décide de vivre pour de vrai des aventures qui germent dans sa tête, c'est que le reste du monde n'est pas tout à fait préparé.
Des moulins à vent... mais pas que !
Ce premier volume (sur deux, donc) de Don Quichotte reprend le premier roman, que l'auteur adapte en conservant son âme, et sa singularité. Le roman de Cervantes s'éparpille dans de nombreuses histoires secondaires, Rob Davis conserve la plupart d'entre elles, tout comme il garde ce mélange si savoureux de style très 'littéraire' et d'un langage beaucoup plus familier. Et le résultat est vraiment génial. Ceux qui n'ont pas lu les romans pourront découvrir que ce chevalier un peu cinglé n'a pas chassé que des moulins à vent... Ce Don Quichotte en bande dessinée est particulièrement bien rythmé, avec une construction parfaitement maitrisée, alors même qu'elle semble cacophonique. L'ensemble est parfaitement fluide et les petites histoires s'imbriquent naturellement dans le récit principal.
On rit beaucoup, on s'attache instantanément à cette foule de personnages improbables qui sont tous plus fêlés les uns que les autres, même quand ils ont l'air d'avoir tout leur esprit, et on se régale de tous les moments où Quechana fantasme complètement ce qui se passe autour de lui, pendant que ceux qu'il croise essaient de comprendre ses élucubrations et son comportement. Lui et son comparse vont de déconvenues en déconvenues, mais ce n'est pas ce qui éteindra la flamme de l'aspirant chevalier. La traduction est excellente, les dialogues sont un vrai régal, mêlant l'humour de Rob Davis à celui de Cervantes pour le meilleur.
Graphiquement aussi, ce Don Quichotte est très réussi. Son trait assez simple, plein d'énergie et de bonne humeur sert parfaitement l'histoire, avec une colorisation plutôt sobre appuyant les ambiances, et des teintes parfois très vives qui collent parfaitement à la folie du héros et au dynamisme de la bd. Les histoires secondaires sont immédiatement identifiable par leurs traitement graphique différents, où l'auteur expériemente des narrations visuelles moins classiques qui donnent encore plus de saveur à l'ensemble et qui permettent de proposer un récit en même temps très dense et aéré. L'éditeur Warum a de plus choisi d'offrir à cette très bonne bande dessinée une belle édition, avec un papier mat de qualité qui met parfaitement en valeur le dessin et ses couleurs, et une tranche toilée orange fluo qui résume parfaitement ce classique d'une modernité rafraichissante.
Ce Don Quichotte devrait donc autant ravir les amateurs de l'oeuvre originale que ceux qui ne l'ont pas encore lu, tant l'auteur s'attache à conserver toute la folie qui émane du roman de Cervantes, et le fait avec talent. Le résultat est ultra dynamique, incroyablement drôle, servi par un graphisme efficace et une mise en scène explosive. Un excellent premier volume (qui peut aussi se lire comme une histoire complète), qui annonce pourtant une seconde bande dessinée encore plus déjantée.