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par Arno Kikoo - le 24/05/2018
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par Arno Kikoo - le 24/05/2018

I Kill Giants : un bijou entre justesse et émotions

Sorti en 2008 chez Image Comics, quelques temps avant l'explosion de l'éditeur comme nouvel el dorado du comic indépendant, I Kill Giants s'offre une sortie française chez HiComics, conjointement à la venue de son adaptation en film. Un titre dont on se demande à la lecture pourquoi personne n'a retenté de l'éditer plus tôt, après une tentative avortée chez Soleil (seule la première moitié de l'oeuvre avait été publiée) en 2009. 

Barbara Thorson est une jeune fille au caractère bien trempé, à l'imaginaire débordant, et qui a un peu de mal à se sociabiliser. Non pas que le CM2 ne lui plaise pas, ou qu'elle soit passionnée de Donjons & Dragons, mais Barbara a une autre préoccupation. En effet, de monstrueux géants arrivent sur sa petite ville, et elle se doit de préparer le terrain - et ses armes - puisqu'elle sera la seule à pouvoir les affronter. En découle un comportement extrême qui inquiète l'entourage de la jeune fille, de la psychologue de son établissement scolaire, à cette nouvelle venue et seule amie, jusqu'à sa famille. Se pose aussi la question de son état mental : les géants sont-ils bien réels, ou la manifestation d'autres problèmes plus concrets ?

On n'en dira pas plus sur l'intrigue solidement ficelée de Joe Kelly, qui nous emmène suivre le quotidien d'une jeune fille qui préfère utiliser son imagination pour ne pas avoir à affronter les difficultés de la vie. Loin d'une histoire bourrée d'action, Kelly dépeint un récit intimiste, très proche de ses personnages, où les épreuves de la vie se transforment peu à peu en affrontements hors du commun. Au premier rang, Barbara Thorson fait partie de ces personnages terriblement attachants, parce que Joe Kelly témoigne d'une finesse et d'une sincérité à toute épreuve dans son écriture. Si elle est l'héroïne de son récit, Barbara n'a pas toutes les qualités, et son comportement, tantôt touchant tantôt agaçant, permet de tisser un lien profond avec le lecteur. Une forte empathie se dégage, et c'est dans tout son côté humain que Barbara émeut, parce que son histoire peut se rapporter à l'expérience de la vie de chacun, quelle que soit la bataille ou le géant à affronter.

On mentionnait l'émotion il y a quelques lignes, et c'est peut-être la plus grande force d'I Kill Giants. La bande dessinée est à mon sens un média avec lequel il est difficile de réussir à véhiculer de fortes émotions, mais Joe Kelly réussit ici un certain tour de force, et sans utiliser de faux-semblants, avec une sincérité imparable dans sa justesse et sa force. Comme il l'explique dans une longue interview (présente dans les jolis bonus en fin d'ouvrage), c'est une expérience personnelle qui a motivé l'écriture de ce titre, et c'est ce qu'on peut ressentir. Kelly trouve une très belle façon d'amener le lecteur à une vérité qu'il laisse entendre de multiples façons. On sent bien que quelque chose cloche dans le quotidien de Barbara Thorson, que l'imaginaire n'est pas qu'un élément de décor. Mais à côté, on se plaît aussi à voir comment l'auteur nous parle de l'enfance, de la solitude, ou simplement de l'amitié. Avec toujours, sans l'envie de trop en faire, un propos simple et universel, inspirant.

La force du récit et de ses émotions, elle vient aussi du dessin de Niimura. L'artiste espagnol, d'origine japonaise, a un style qu'on pourrait qualifier d'hybride, aux multiples influences. Naturellement, il y a un côté manga, mais il serait réducteur de juste catégoriser son trait par une simple notion de mélange. Le style a quelque chose d'unique, une vraie personnalité, et l'utilisation en noir et blanc (et niveaux de gris), finalement assez rare dans le comic book, offre un véritable charme dans son utilisation. L'encrage notamment, varie en fonction des ambiances, permettant d'alterner la tonalité du récit, avec une accentuation implacable du ressenti de l'héroïne dans les moments les plus difficiles. Ce travail sur les nuances de gris (sans jeu de mots, merci) permet aussi d'intégrer les éléments imaginaires en fonction de leur importance pour l'héroïne. Enfin, et ce n'est peut être qu'un détail, mais Niimura apporte aussi un soin à l'expressivité de ses personnages, et l'utilisation du reflet ou non des lunettes de Barbara fait partie de ces petites choses qui apportent toute leur dimension émotionnelle à I Kill Giants

En définitive, I Kill Giants est une petite merveille, qu'on ne découvre que bien trop tard dans nos contrées. Alliant la puissance et la justesse de l'écriture de Joe Kelly, à la force émotionelle de son message, le titre profite en outre d'une patte graphique on ne peut plus séduisante, pour un morceau de comic book indé qui se doit de figurer dans vos bibliothèques. L'album est disponible dès à présent chez HiComics au prix de 20 euros !

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