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par Arno Kikoo - le 1/06/2018
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par Arno Kikoo - le 1/06/2018

La Discipline : quand le sexe devient inquiétant

Melissa s'ennuie dans sa vie. Elle est frustrée par bien des aspects, mais surtout c'est l'absence de relation avec son mari qui l'exaspère. Aussi bien sentimentalement que sexuellement, elle chercherait bien à s'évader et à assouvir ses pulsions. Alors, lorsqu'elle rencontre un inconnu étrange et séduisant, c'est tout un monde de délices inconnus qui s'ouvre à elle. Mais n'allez pas vous imaginer retrouver une adaptation de 50 Shades of GreyLa Discipline vous emmène très rapidement dans un monde étrange, fait de créatures mythologiques qui s'affrontent à coups de coït, une conspiration mâtinée de sang, d'un érotisme sordide et d'inspirations lovecraftiennes. Bienvenue dans l'esprit fou de Peter Milligan.

Lorsqu'on connaît un tant soit peu le travail du bonhomme, de se retrouver dans une intrigue où les éléments de bizarre mettent constamment mal à l'aise ne sera pas surprenant. Milligan a toujours l'esprit un brin dérangé, et c'est ce qui se manifeste le plus dans La Discipline, nouveau venu dans la collection Best of Fusion de ¨Panini Comics. Pour l'anecdote, le titre a eu un parcours étrange lors de sa parution outre-atlantique. Annoncé d'abord chez VertigoLa Discipline se sera par la suite exporté chez Image Comics après de longs mois de silence, et l'on peut mettre en cause, sûrement, le contenu. Car le titre parle de beaucoup de choses, et principalement de sexe. Mais l'utilisation qui en est faite dépasse le simple cadre de l'érotisme, et n'a pas pour but que d'émoustiller quelques pupilles. Ici, il sert d'outil narratif, et guide à la fois l'héroïne dans son cheminement personnel, qu'il est utilisé par ses ennemis pour assouvir leur soif de pouvoir. Une façon de représenter l'acte sexuel brutale, dérangeante, plus dans sa nature bestiale et mécanique, la sensualité étant évacuée par la violence.

Ce sera sûrement le point le plus compliqué de La Discipline, le rapport de l'auteur à son personnage principal, Melissa, se relevant très houleux. Emmenée contre son gré dans cette aventure, malgré un désir initial d'évasion, Melissa se fait torturer dans tous les sens du terme, subit humiliation sur humiliation, physique et verbale. Entre manipulation psychologique, viol à répétition, sévices sexuels (avec des représentations graphiques équivoques qui rappellent à l'imagerie pornographique), cette accumulation à l'égard d'un personnage féminin aura vite fait de faire referme le livre à beaucoup de personnes. Au regard des dernières années passées, on se dit que Milligan a échappé de peu à une véritable fronde contre cet ouvrage. Car malgré tout, ces actes de violence pour beaucoup insoutenables servent à construire le personnage, à la faire avancer, la faire tomber pour mieux se relever. Mais l'écriture ne suit pas toujours la route, car en seulement six numéros, l'histoire fait de sacré bonds, et dans le développement de Melissa, il y a des attitudes si opposées qu'on se demande si Milligan écrit toujours le même personnage d'une planche à l'autre.

Cette rapidité dans le développement se ressent aussi dans une histoire qui, aux premiers abords assez simples, se perd dans les méandres d'une mythologie obscure, dans laquelle le scénariste implique beaucoup d'autres éléments et thématiques. Entre la conspiration antique, les rapports femme-homme et l'exploration du couple, des difficultés familiales, Milligan brasse et brasse sans jamais s'arrêter. Quitte à ce que le lecteur se perde en chemin, dans une intrigue tortueuse où l'on a du mal à suivre le bout du raisonnement du bonhomme. A voir si vous aimez vous perdre dans vos lectures ou non. On pourra à côté apprécier le dessin de Leandro Fernandez, qui collaborait déjà avec Milligan sur The Names (inédit en VF). Le trait de l'artiste est assez caractéristique, et c'est dans son utilisation des ombres qu'il démontre toute sa force, avec en outre un découpage dynamique, là aussi riche en ellipses qui risquera de vous perdre à quelques endroits. Comme pour l'intrigue, l'érotisme omniprésent (l'héroïne étant souvent déshabillée) et le sexe sont représentés de façon crue, sans verser dans un voyeurisme complaisant.

La Discipline est un titre vraiment particulier, dont il faudra souligner l'audace de Panini à l'avoir publié. Tortueux, violent, provocant, le titre veut parler de sexe et se perd dans une intrigue aux inspirations mythologiques et conspirationnistes, dont on ne voit pas forcément les tenants et aboutissants. Un registre de l'étrange joliment servi par les dessins de Fernandez, si toutefois vous acceptez la recette graphique, très crue, et qui pourra facilement heurter. Un ovni de bande-dessinée, à ne pas mettre entre toutes les mains. Vous pouvez commander La Discipline par ici pour quinze euros.

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