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par AntoineBigor - le 1/04/2016
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par AntoineBigor - le 1/04/2016

Les Derniers Jours de Superman, la critique

1986 fut une année charnière pour l'industrie des comics, et DC en particulier. Pendant que Ronald Reagan et son vice-président George W. Bush père fêtent leur second mandat, des artistes tels que Frank Miller, Art Spiegelman et Alan Moore révolutionnent en profondeur les codes de la bande-déssinée avec des œuvres telles que The Dark Knight Returns, Maus ou encore Watchmen. L'univers DC rentre également dans une nouvelle période en publicant Crisis of Infinite Earth, premier super-crossover ayant fait table rase de la précédente continuité pour mieux relancer la machine sur des bases saines. Il avait alors fallu donc trouver une fin aux péripéties de Superman.

Un sacré défi pour l'éditeur des aventures du héros kryptonien de l'époque, Julius Schwartz. L'évènement éditorial que représente la série de Marv Wolfman et George Perez est colossal puisqu'il entend clarifier la continuité de l'univers DC en supprimant le multiverse - concept où différentes versions de notre planète et des héros peuvent se côtoyer, sans problème de cohérence. De cet évènement, a découlé une tabula rasa de la continuité, tout en gardant la numérotation des titres. Superman ne fait pas exception, John Byrne étant déjà, à l'époque, engagé pour lancer une nouvelle version des origines de l'homme d'acier dans la série Man of Steel. Mais comment clore 48 ans d'histoires en seulement deux épisodes ? Alan Moore avait la réponse et souhaita à tout prix écrire ses épisodes spéciaux, le scénariste ayant même menacé l'éditeur pour le laisser écrire cette ultime chapitre. Et finalement, quoi de mieux que l'esprit de synthèse du magicien de Northampton pour mettre un terme à toute une mythologie, encore aujourd'hui source d'inspiration des scénaristes travaillant sur le héros de Metropolis ?

Publiée dans les pages des derniers numéros des titres Action Comics et Superman, l'histoire d'Alan Moore nous raconte donc les derniers jours de Superman, où les évènements vont s'accélerer et détruire petit à petit le monde de Clark Kent. Le scénariste aborde de plus la narration comme un témoignage, délivré par une Lois Lane à un jeune employé du Daily Planet dans un futur proche, permettant à Moore d'écrire un long texte poétique et touchant qui va parcourir et rythmer son récit. On y retrouve toutes les grandes figures de cette époque, comme une série de derniers hommages à notre héros, partant même dans le méta quand la Legion des Super-Héros lui fait prendre conscience que sa fin est proche.

Mais le récit se révèle peut-être un peu trop mécanique pour vraiment fonctionner, en tout cas dans sa première partie. Tous les repères du kryptonien tombent petit à petit, sans grande surprise mais avec un esprit assez cahotique. Ce n'est que dans une seconde moitié que les péripéties vont prendre une toute autre tournure, avec le siège de la Forteresse de Solitude et le texte d'Alan Moore qui prend une autre ampleur. Le scénariste se permet même de tuer des personnages, jusqu'à briser certains principes du héros, tout en restant cohérent avec le personnages et ses codes installés depuis 50 ans. Pour la partie graphique, le choix du dessinateur Curt Swan, semble être une évidence, puisqu'il travaille sur le personnage depuis 1948. Il assure ainsi une certaine continuité graphique, donnant le sentiment qu'un voile définitif est tombé sur cette période de la vie de Superman.

Si l'ouvrage met en avant cette histoire, dans son titre et sa couverture, elle n'est pas seule puisque deux autres histoires complètent le programme. La première est un annual de la série Superman de la même époque, qui voit le dernier kryptonien projeté dans une vie où Krypton n'a jamais explosé, à cause d'un parasite mental offert par Mongul. L'occasion pour Alan Moore de faire preuve de son incroyable talent pour la peinture idéologique d'une société, lui qui écrit une planète en perdition, en proie au totalitarisme religieux et à un système corrompu. Un nihilisme d'une efficacité rare, et qui transforme notre histoire en véritable reflet politique des années Reagan. Niveau dessin, le scénariste ramène son compère Dave Gibbons, pour des planches qui reflètent déjà ce que sera Watchmen, dans le style et les couleurs. Cette histoire sur le kryptonien - qui a d'ailleurs été adaptée dans le second épisode de Justice League Unlimited - prouvera une fois pour toutes la redouble efficacité du scénariste.

Une troisième histoire, tirée d'un numéro DC Presents de Swamp Thing cette fois-ci, termine le sommaire. Les aventures de l'homme du marais furent l'un des premiers travaux du jeune Moore arrivant sur le marché américain, et l'épisode en question s'inscrit beaucoup plus dans l'ambiance de ses précédents écrits que celle de la série Superman. Cette rencontre entre les deux personnages paraît d'ailleurs quelque peu forcée, malgré les thèmes qu'elle arrive à soulever. Swamp y est l'esprit de la nature, et va aider, dans l'ombre, un Superman en proie à un mal inédit : sympathique mais bien moins marquantes que les deux autres récits.

Une certaine cohérence ressort néanmoins de cet ouvrage composite puisque Alan Moore aborde tout les tabous et ficelles du personnage pour mieux en faire ressortir l'essence d'un personnage intègre et définitivement trop bon pour notre monde. Les quelques textes publiés à la fin de l'édition d'Urban Comics sont d'ailleurs des bonus de qualité, qui permettent de recontextualiser ces épisodes par rapport à l'histoire du héros et de sa publication.

Les Derniers Jours de Superman ne vole pas son titre, en étant la dernière pierre apporté à l'un des personnages les plus emblématiques lors de l'âge d'argent : hommage touchant et passionné et espace de liberté pour un scénariste qui n'a de cesse de casser les codes, l'ouvrage est une pièce historique de la vie de l'éditeur, une histoire importante et se révéle, malgré son âge, bien plus riche qu'une grande partie de la production actuelle.

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