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par AntoineBigor - le 11/03/2016
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par AntoineBigor - le 11/03/2016

Luthor, la critique

Comme l'a explicité l'auteur Steven T. Seagle dans C'est un Oiseau..., écrire une histoire de Superman est ô combien complexe. Le porte-étendard surpuissant et presque divin de DC Comics ne laisse que très peu de marge de manœuvre aux différents scénaristes qui se sont succédés à sa tête. Les contre-exemples sont rares et pourtant, Brian Azzarello a su trouver un angle original pour aborder l'homme d'acier : se placer au travers du point de vue de Lex Luthor

La nemesis de Superman fait ainsi parti des personnages sans pouvoirs de l'univers DC, riche homme d'affaires à la tête de sa propre multi-nationale. Qu'est-ce qui en fait l'adversaire héréditaire du kryptonien? Sa dimmension humaine, justement, et les peurs qu'un tel être peut faire peser sur la conscience. Ainsi, du point de vue de Lex, Kal-El n'est ni plus ni moins qu'un envahisseur, un dieu surpuissant dont la seule garantie de ne pas dériver réside dans sa propre morale. Une épée de damoclès au-dessus de la tête de l'humanité, dont Luthor compte bien se débarasser. Et toute l'intelligence du scénariste anglais se retrouve dans la manière d'épouser le point de vue son protagoniste, rendant toute apparition de Superman dans l'album effrayante.

En investissant totalement la psyché de son protagoniste, le scénariste anglais présente un Luthor humain, sensible, proche de ses employés et brillant. Là où ce portrait aurait pu être un prétexte facile pour échanger les rôles de "méchant" et de "gentil", Azzarello amène une complexité au personnage, qui lui empêche de vraiment le ranger dans une case aussi simple qu'un pitch manichéen : ses motivations sont intelligibles, ses moyens un peu plus discutables. Motivé - voire fasciné - par cette frayeur d'un être omniscient, Lex est prêt à toutes les excentricités et à sacrifier ce qu'il faut pour le mettre hors d'état. Une forme de sensibilité qui fonctionne formidablement bien et amène une relation particulière avec l'homme d'affaires. Une dimension politique va également s'ajouter à ce portrait, Brian Azzarello n'hésitant jamais quant il s'agit de cogner le capitalisme qui envahit nos sociétés, appuyant ainsi un peu plus l'aspect paradoxal de son protagoniste.

Le scénariste signe ici l'une des meilleures histoires du kryptonien, originale, intelligente et riche. Avec une narration des plus fluides, ne lâchant jamais le point de vue de Luthor en suivant sa propre réflexion tout au long de l'album. Une cohérence narrative et intellectuelle impressionnante qui questionnera à coup sûr le point de vue du lecteur sur le plus grand super-héros de la Terre. D'autant plus que ce dernier est représenté plus furieux que jamais, à la limite du bestial, les yeux rouges à chaque apparition.

Il doit cet aspect à Lee Bermejo, qui livre ici un travail colossal,  à plusieurs niveaux. L'artiste mélange dessin et peintures réalistes, qui baignent dans un univers aux couleurs à la fois chaudes et sombres, privilégiant les grandes cases ou de pleines pages pour apporter une vraie dimension ampleur au récit. Son découpage est si remarquable qu'il amène une autre lecture, beaucoup plus visuelle,  qui sera un parfait complément aux thèmes et à l'ambiance déployés. 

Lee Bermejo n'hésite ainsi jamais à jouer avec le regard du lecteur ou les gestes de ses personnages, les deux femmes fortes de l'intrigue, Mona et Hope, étant même visuellement mises en avant pour installer une tension sexuelle palpable entre elles et Lex. Une dimension inattendue qui se révèle des plus utiles dans notre identification à Luthor. Tout en developpant ses thématiques, les deux artistes n'oublient pas qu'ils écrivent une série de L'homme d'Acier et offrent des scènes de combats d'une force incroyable, s'offrant même l'apparition d'un Batman quelque peu dépassé.

L'édition d'Urban Comics, arrivée à point nommé pour la sortie de Batman v Superman, rajoute des pages noir et blanc en bonus par rapport à la précédente édition (depuis longtemps épuisée) de Panini Comics, permettant de saisir l'ampleur du travail de peinture de Bermejo ainsi que celui de Dave Stewart, sur les couleurs.

Dans le fond comme dans la forme, Luthor a tout du chef d'oeuvre. Brian Azzarello et Lee Bermejo amènent une richesse thématique, intellectuelle et graphique à un personnage souvant unidimensionnel, le faisant ainsi évoluer en un antagoniste plus complexe qu'un simple méchant. La ligne entre bien et mal est floue, n'étant au final qu'une question de points de vue. Une œuvre marquante, un classique intemporel de la rédac'.

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