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par Corentin - le 7/11/2017
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par Corentin - le 7/11/2017

Moonshine Tome 1, la critique

Quand il n'est pas occupé à exécuter ses commandes de Batman pour DC ComicsAzzarello crée. Il a créé chez Vertigo, il a créé chez AfterShock, et comme la plupart des grands auteurs de sa génération, il s'est lui aussi exilé sur les prairies verdoyantes d'Image Comics pour laisser libre cours à ses idées. Urban nous amène un exemplaire de ce travail en solo loin des toits de Gotham City où l'auteur de 100 Bullets retrouve son collaborateur historique, Eduardo Risso. Il est question de prohibition, d'horreur rurale et de distilleries paumées dans ce premier volume. On se plonge dans l'ambiance en dialogues et en images, bienvenue en 1929.

Un jour de plus dans la vie de Lou Pirlo

Moonshine part sur les traces du film noir, genre qui colle à l'écriture d'Azzarello depuis ses premiers pas. Comme Cooke ou Miller, le scénariste est un admirateur des polars, des histoires de détectives et de truands se courant après dans des rues ombrageuses, ceux qui n'ont que le temps de voir la vitre se baisser avant que la mitrailleuse Thompson n'ait fait son boulot. On est en terrain conquis sur le style : un héros raté et pessimiste qui s'en sort par la tchatche, et raconte son récit par le point de vue interne comme le ferait un roman de Chandler ou Goodis

Les archétypes sont là : la femme fatale, l'homme de main cruel, les dégaines de bandits et les fusillades dont on ne se relève pas. Le scénariste joue avec des dialogues efficaces pour ancrer son oeuvre dans un style marqué, immédiatement identifiable, et diablement efficace. On retrouve ce besoin de nommer les personnages pour les situer dans une grande fresque d'enquête, un côté authentique dans ce Lou un brin paumé et porté sur la bouteille, piégé entre deux plus gros poissons. Azzarello convoque la figure historique de Joe Masseria, un des grands du crime qui aura précédé l'ascencion de Capone ou Lucciano en son temps.

Cela dit, Moonshine n'est pas qu'un récit de truand de plus. L'auteur profite de la liberté créative moderne, où le mélange des genres se répand à toute une série de niveaux dans l'industrie, pour instaurer un peu d'horreur rurale à son histoire. Et le titre porte à cet égard bien son nom, puisque si le moonshine décrit dans le vieil argot de l'époque l'alcool clandestin brassé pendant la prohibition, l'idée de pleine lune sous-entendue devrait vous mettre la puce à l'oreille quant au genre de récit d'épouvante qu'Azzarello emprunte. 

Mort à l'Arrivée

Le résultat obtenu est une sorte de mélange entre le milieu du crime et celui du Vieux Sud, on retrouve une ambiance à mi-chemin de deux genres à part entière. Comme piégé entre Souther BastardsDes Hommes sans Loi ou Boardwalk et un bon vieux film d'horreur classique sur les prairies de la campagne américaine. On aime cette atmosphère, où Eduardo Risso pose avec sa majesté habituelle son jeu sur les ombres et les regards, dans des découpages travaillés où l'artiste se fait plaisir.

On peut cependant reprocher aux dialogues de se perdre parfois dans l'effet de style. Si Azzarello est un fan qui imite ses idoles, il imite aussi l'aspect le plus littéraire du genre au détriment d'une narration qui semble parfois se paumer en chemin. Le gimmick du héros alcoolique à la mémoire trouée est par exemple bienvenu, mais dessert un milieu de récit qui rebat les cartes pour faire du surplace. Heureusement, le twist (malheureusement prévisible) sauve les dernières pages et remet en perspective le volume entier, qui passe d'un coup pour une lecture maîtrisée et bienvenue.

On pourra aussi reprocher un manque d'inventivité derrière le concept, mais il est bon de rappeler que ce tome 1 n'est pas une mini-série bouclée et que la suite reprendra là où s'arrête cette entrée en matière. Ne serait-ce que pour ses héros sortis d'un film des années 40, l'envie de voir Azzarello jouer avec l'horreur et les fausses pistes et les planches intérieures de son ami de longue date, Moonshine reste de toutes façons une lecture indispensable pour les fans du répertoire et de ce bon auteur barbu.

On récapitule : des chapeaux de truands, des bouseux arriérés, une campagne inquiétante et des mitrailleuses qui rugissent moins que les échanges de blagues entre les personnages - Azzarello se fait plaisir et Risso l'accompagne avec talent. A noter que l'écriture ne fait pas de concession au style de ceux qui ont inspiré le scénariste, et se charge d'un côté passéiste qui pourra dérouter les habitués d'un autre style de BD. En dehors de ça, c'est encore un joli carton plein né des imprimeries Image, qu'Urban nous transporte comme des caisses poussiéreuses de vieux whisky sec du fin fond des Amériques lointaines, pour les amateurs de hardboiled et de décapitations en forêt. 

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