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par AntoineBigor - le 23/05/2016
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par AntoineBigor - le 23/05/2016

MPH, la critique

Depuis Ultimates, son dernier gros travail pour la maison Marvel, l'irrévérencieux Mark Millar s'est transformé. Le scénariste britannique n'a cessé de grimper les échelons en écrivant certaines des pages les plus vulgaires (mais jouissives) de Wildstorm, en participant à la création de l'univers Ultimate ou encore en bouleversant en profondeur l'ordre établi dans l'univers des Avengers, avant de laisser de côté le mainstream pour se concentrer sur ses propres créations, qu'il adapte souvent très rapidement à Hollywood. Un système prolifique pour l'auteur, bien aidé par l'effervescence de la pop culture dernièrement et les succès de Kick-Ass ou Kingsman. Seulement, on pouvait s'y attendre, cette manière de fonctionner a un effet pervers sur certains de ses travaux, comme en atteste la mini-série MPH.

En 1986, un évènement surnaturel se produit : un homme se déplaçant à la vitesse de la lumière atterrit en plein milieu du Missouri, faisant de lui le premier cas de surhomme jamais enregistré. De nos jours à Detroit, ville sinistrée s'il en est, un jeune dealer du nom de Roscoe se retrouve piégé par les fédéraux et balancé directement en prison. Là bas, il y découvre l'existence d'une drogue, le MPH, qui donne une vitesse et une force incroyable pendant un certain temps. Le malfrat va s'en servir pour s'échapper, mais pas seulement, puisqu'avec sa copine et son meilleur ami, ils vont jouer aux Robins des Bois modernes en cambriolant les banques afin de se faire un maximum d'argent tout en distribuant une partie dans la rue.

Mark Millar est très fort pour ce qui est du concept. Chacune de ses séries synthétise une approche originale, fraîche et intéressante d'un sujet, avec de nombreux éléments de décors et des personnages dans l'ère du temps. Ici, en plaçant son intrigue en pleine déchéance de la Motor City, avec des personnages en bas de l'échelle sociale, Millar tape juste et amène un contexte politique de contestation et de gronde du peuple au potentiel assez fort. L'idée même de pilule de super-pouvoir, offrant un parallèle drogue/amélioration intriguant, est intéressant en soit et à traiter au coeur du récit. Seulement, avec MPH, l'écossais ne fait rien de plus que de détailler un pitch pour Hollywood, où la structure et les thèmes abordés ne sont qu'une note d'intention pour ce qui sera (peut-être) plus tard un long métrage.

Car si la lecture reste intéressante et divertissante, cette désagréable sensation de lire une histoire à peine développée reste présente tout du long, la faute à un rythme bancal. L'introduction de son personnage principal par exemple, caractérisé par quelques dialogues "à la Tarantino", ne lui donne jamais l'épaisseur qu'il mérite, par manque de pages. La dynamique avec son entourage, alors qu'ils sont pourchassés, est là aussi classique et éculé comme jamais. Le contexte politique et social, qui promettait d'être explosif entre les mains de Millar, n'est finalement qu'une toile de fond pseudo-moderne, dont le scénariste va à peine se servir pour donner du sens à son histoire. Pourtant, le bougre en a toujours sous la pédale, avec une utilisation hyper efficace des pouvoirs de nos gentils criminels, même si assez floue quant à leurs limites, laissant imaginer une réalisation des plus inventives une fois transposé au cinéma. Mais on en revient toujours au problème principal de ce MPH : ce n'est finalement qu'un script, à peine détaillé, pour le grand écran qui n'arrive jamais à s'affranchir de ses codes.

Pourtant, le dessinateur Duncan Fegredo livre un très joli travail. Le natif de Leicester, que l'on a pu voir briller sur le Hellboy de Mike Mignola, se montre ici plus sobre et appliqué, avec un découpage classique et une narration assez dynamique. Son style est moins grossier, plus rond par moment, avec un encrage plus lisse qui va être ensuite plongé dans des couleurs vives. D'ailleurs, si le script fait constamment des appels du pied au 7ème art, le découpage de Fegredo ne cède pas trop à la tentation d'utiliser le language cinématographique, pour offrir certains moments de séquentialité assez inventif. Mais son travail n'en reste pas moins bridé par un script souvent trop mécanique, l'empêchant de se lâcher totalement. Il ne le fera qu'à l'occasion de la conclusion de cette mini-série, avec une grande scène d'action des plus jouissives, donnant encore plus l'impression d'un gâchis de talent, alors que tout était là pour faire une excellente mini-série.

Mark Millar est un sacré diablotin. Maintenant qu'il a fait le tour du petit monde des comics, il s'attaque à Hollywood avec une armée de mini-séries déjà toutes prêtes à vendre et à adapter au cinéma. Seulement, le scénariste oublie un peu son art premier, le neuvième, et livre des scripts trop peu développés, qui font certes toujours preuve d'un certain talent pour toucher à des thèmes d'actualité avec un angle original, mais qui oublient de donner de la matière et un minimum de structure dramatique et idéologique derrière pour que son oeuvre vive d'elle-même. MPH en est l'incarnation parfaite, et si cet ouvrage reste une lecture loin d'être désagréable, cela reste un joli raté au vu du potentiel et du minimum d'ambition affichée par l'auteur écossais.

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