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par Arno Kikoo - le 22/01/2018
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par Arno Kikoo - le 22/01/2018

The Few : de la révolution au pardon

Nouveau venu en ce début d'année, Hi Comics rentre dans le comics game du marché français avec deux propositions diamétralement opposées. D'une part, une exploitation d'une licence très populaire (et excellente de surcroît), de l'autre une mini-série indé' venue de chez Image Comics, qui s'offre à nous en un tome massif. The Few, puisque c'est de ce titre qu'on parlera aujourd'hui, est le second titre de Sean Lewis chez cet éditeur (Saints restant encore inédit en France), un bonhomme reconnu notamment pour ses pièces de théâtre. Il nous propose ici une vision d'un futur (proche) bien sombre, dans lequel ses personnages évoluent au gré de leurs convictions et de leurs émotions, pour un récit brut à bien des niveaux.

Des idées au service d'un récit puissant 

Edan Hale, notre héroïne, court dans la forêt, recouverte d'une neige d'un blanc immaculé. Elle porte un bébé contre elle. Dans sa course en avant, elle rencontre deux frères, avant de s'évanouir. Ils l'emmènent dans leur campement, regroupement de rebelles en lutte contre une force post-gouvernementale totalitaire, le Palace, et une bande de sauvages menés par l'illuminé Herrod, figure de l'antagoniste ultime que ne renierait pas un Mad Max. Dans une opposition à trois partis où chacun essaie de s'imposer via une loi du plus fort qui autorise tous les coups bas, Edan se décide à affronter les démons de son passé et aller de l'avant, quoi qu'il en coûte. Et le monde autour d'elle sera tout aussi décidé.

Le récit de Sean Lewis met très peu de temps à s'enclencher, pour à peine relâcher la pression. Une de ses premières forces tient dans l'écriture de ses personnages. Si certains sont de véritables archétypes de ce genre de récit jusqu'au boutiste (Herrod et ses Furies, qui n'en restent pas moins séduisants), c'est en Edan Hale que l'auteur fait une belle prouesse. Laissant de côté toute facilité, l'héroïne est tout aussi complexe qu'attachante, laissant le lecteur dans un certain embarras quant à la position à adopter vis-à-vis d'elle, notamment à cause de ses actes passés. Des actes qui reviennent la hanter sous différentes formes, permettant à Lewis de composer avec plusieurs genres au sein de son histoire, et ce ne sera clairement pas pour nous déplaire. 

Mais c'est dans les idées qu'il véhicule autour de son histoire que The Few est puissant. On peut le prendre de face, dans un discours révolutionnaire qu'on ne peut pas ignorer à la lueur de notre société actuelle, où les mouvements revendicatifs pulululent, alors que chacun doit se trouver dans un groupe "d'autres" à un moment ou l'autre ; comme la vision alarmiste de cette Terre, dévastée par un mal curieux - qui va dans un sens écologique que l'on retrouve dans beaucoup d'oeuvres modernes (et même avant, cela dit). Mais plus important, c'est dans la façon dont Hale et les autres composent avec leurs choix, leurs actions, leurs remords qui attestent d'un véritable savoir-faire par Lewis. Un fait explicité dans l'avant-propos de l'auteur, avec un travail sur la notion du pardon, seule issue permettant de mettre fin à une escalade de violence, qui trouve une résonnance émotionnelle particulièrement forte. Autant vous dire qu'à la lecture, vous serez pris dans divers états, qui marquent et y font repenser alors que le tome (qui d'ailleurs se lit rapidement malgré sa taille) est déjà refermé. 

Un parti pris graphique affirmé

On se retrouve avec les dessins de Hayden Sherman tout du long, et ce sera peut-être la partie la plus difficile pour les lecteurs. Comprendre, le dessin n'est pas conventionnel pour de la BD américaine et répond d'un parti pris affirmé, qui donne une identité à The Few comme peu de titres peuvent s'en targuer. Qu'on se le dise, l'avis est ici subjectif, et c'est une grosse claque qu'on se prend. Il y a le style de Sherman en premier lieu, atypique, ciselé, mêlant traits violents, trames et ajouts stylistiques, pour un rendu proprement unique. Qui donne parfois l'impression de voir évoluer des personnages en 2D sur un décor plus en reliefs (on appréciera ou pas). Sherman sait composer avec ses outils et son talent se mesure sur l'ensemble des numéros, avec des personnages au design travaillé (voir les croquis préparatoires à la fin), mais encore plus dans ses décors dont l'imagerie renvoie, une fois de plus, à des oeuvres de pop-culture bien connues (pensez Metal Gear pour l'aspect colorimétrie, par exemple). Qu'il s'agisse de forêts enneigées, ou de la ville étouffante du Palace, il y a franchement de quoi s'émerveiller au détour des planches. Et l'artiste n'est pas en reste dans les moments d'action, où les effets graphiques et l'utilisation de couleurs vives pour se démarquer du reste accentue les moments les plus marquants.

Mais c'est aussi dans la mise en scène que Sherman impressionne. Clairement, l'artiste possède déjà à son jeune âge (21 ans quand il a débuté The Few) une maîtrise du story telling, n'hésitant pas à utiliser de savants moments de découpage, ou au contraire de s'étaler sur des double-pages pour faire ressortir l'intensité des moments les plus cruciaux du récit. A ce titre là, on reste longtemps estomaqué par la puissance de la scène, disons "sur les écrans", pour ne pas en spoiler le contenu. Soyons malgré tout clair : le style n'est pas très accessible, et c'est d'ailleurs ce qui pourra rebuter au début, car il faut un peu l'apprivoiser. Notons aussi qu'à quelques moments, la lisibilité de certaines scènes d'action devient confuse. Mais comme pour beaucoup de titres, une fois dans le bain, The Few se laisse apprécier avec toute la personnalité de sa partie graphique. 

Avec un scénario travaillé aux idées et émotions fortes, des personnages très bien écrits, et son style artistique sans pareille, The Few est une très bonne entrée indé' pour Hi Comics. Un ouvrage qui rentre clairement dans le comics de niche, notamment pour la partie graphique, mais une très bonne lecture au demeurant. Avis aux amateurs, il n'y a pas à hésiter. L'album est disponible dès le 24 janvier au prix de 25 euros.

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