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par Arno Kikoo - le 15/05/2019
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par Arno Kikoo - le 15/05/2019

The Magic Order : une production Millar/Netflix calibrée et efficace

Chose amusante : à regarder une grande partie de la carrière de Mark Millar, beaucoup auront reproché au scénariste pour ses récentes productions de se complaire dans la simple proposition de pitch, visant clairement le récit à se transformer par le prisme de l'adaptation en série ou en film, sans vouloir développer de (souvent) bonnes idées. Après que Netflix ait racheté l'intégralité du Millarworld, les ambitions de l'auteur auront au moins le mérite d'être transparentes. Avec The Magic Order, première production papier sous l'égide du géant du divertissement, Millar signe autant un comicbook qu'un produit Netflix - mais si la chose est bien réalisée, pourquoi nous plaindrions nous ? Ça tombe bien : on ne se plaint pas.

Comme vous l'aurez deviné au titre, The Magic Order nous causera de magie. L'idée de magiciens vivant secrètement parmi nous n'a rien de nouveau, et Mark Millar imagine une société où les pratiquants des arts (plus ou moins) occultes forment une famille, et on juré de protéger la société des menaces surnaturelles qui pourraient l'attaquer - parce que contre des divinités lovecraftiennes, on conviendra que toute l'artillerie du monde ne peut rien. C'est la famille Moonstone qui en est la principale garante, et l'auteur commence par nous faire le portrait de chacun de ses membres. À côté de la figure paternelle, Leonard, on retrouvera Cordelia, la fille au comportement auto-destructeur et aux capacités folles, Regan, le bon fils qui souhaite poursuivre l'oeuvre de son père, ou Gabriel, qui a rangé sa baguette après une tragédie personnelle. Les choses s'enveniment quand des membres de l'ordre des magiciens commencent à se faire sauvagement assassiner. Avec une évidence criante : seul un autre magicien a pu commettre ces atrocités.

Là où Millar joue avec malice avec les codes du thriller, c'est qu'il n'y aura pas vraiment d'enquête à suivre. L'inquiétante Madame Albany, rejetée de l'ordre pour sa folie, est présentée dès le départ comme la super-méchante de l'histoire, et si subsistent quelques doutes, l'ensemble du récit n'ira pas lorgner du côté de l'enquête plus que d'une course contre la montre afin que chacun puisse se protéger, et qu'Albany ne puisse mettre son plan à exécution. Le scénariste va vite dans les scènes, la tension allant crescendo au fur et à mesure des chapitres, qui multiplie les scènes aussi inventives visuellement que violentes. En effet, pour l'accompagner sur ce premier projet, c'est le talentueux Olivier Coipel (House of MThor) qui rejoint Millar, et livre une très belle performance. 

Avec ce contexte de magie, Coipel peut en effet dessiner les scènes les plus surréalistes, quelles qu'elles soient, sans se soucier d'une quelconque envie de cohérence. Des hommes traversent des miroirs, les réalités sont déformées, une voiture se remplit d'eau toute seule - autant de moments forts qui profitent du savoir faire de l'artiste, de son trait précis, d'un style bien propre, aux accents de photoréalisme, avec des personnes on ne peut plus charmantes - même quand elles commettent de graves exactions. En privilégiant d'être proche des protagonistes, on pourrait reprocher à Coipel de minimiser son travail sur les décors (avec un remplissage agréable par les couleurs de Dave Stewart), mais quelques passages en grand angle, des scènes plus larges permettent de voir que l'artiste sait se donner aussi pour le spectaculaire, quand l'action doit parler. Dans la violence graphique, on voit aussi une certaine aisance à proposer quelques réels moments d'horreur, qui confèrent à The Magic Order toute sa tonalité, entre noirceur et perte de prise avec le réel.

Un joli travail donc, qui profite du savoir-faire de Millar pour proposer un univers, quelques idées, et un déroulé en six chapitres qui s'accommode des retournements de situation habituels - ce n'est pas que l'histoire soit forcément prévisible (on ne peut pas crier au deus ex machina quand tout est basé sur la magie), c'est qu'on s'attend forcément à voir ces changements soudains. À la lecture, The Magic Order semble calibré, du début à la fin, et proposé effectivement comme un film que l'on verrait sur Netflix. L'avantage, ici, reste l'absence de limitation que le support papier offre, une liberté artistique sur laquelle on ne rechigne pas. En même temps, passé le plaisir de lecture immédiat, on doute que l'oeuvre reste dans les mémoires éternellement - autre que pour son statut de premier comicbook produit par un géant du streaming. En soi, une bande dessinée qui est clairement dans la catégorie du produit de commande, mais qui reste un produit bien ficelé. Une écriture efficace, une partie graphique réellement alléchante : une lecture dont on aurait donc tort de se priver, puisque le but n'est de toute façon pas de révolutionner le milieu. À noter d'ailleurs qu'une édition Noir et Blanc permettra de profiter encore mieux des dessins de Coipel, sans vouloir offenser Dave Stewart, dont les couleurs servent très bien les planches de l'artiste.

Efficace et calibré, comme un (bon) produit Neflix. The Magic Order montre que Mark Millar sait raconter une histoire divertissante, en créant rapidement un petit univers, qui mériterait pourtant d'être plus développé - chance, une suite est en préparation. Pour sa première parution sous l'égide de Netflix, l'auteur fait le bon choix d'être accompagné par Olivier Coipel, qui livre une belle performance sur l'ensemble de la mini-série. Pour les amateurs de thriller, de magie et d'un soupçon d'horreur, la lecture s'annonce agréable : vous pouvez vous laisser tenter. L'album est disponible au prix de 19 euros chez Panini.

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