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par Arno Kikoo - le 8/07/2020
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par Arno Kikoo - le 8/07/2020

The Shaolin Cowboy Tome 1 : grand format pour immense chef d'oeuvre

Ardu aura été le parcours de publication de The Shaolin Cowboy en France. Trois premiers (courts) tomes il y a plus de dix ans chez Panini Comics, une reprise par Glénat en 2015 avec un quatrième tome, et une série qui reste toujours inachevée en VF à l'heure d'écriture de ces lignes. Fort heureusement, un nouveau partenariat lie désormais l'artiste et auteur Geof Darrow (venu récemment s'installer en Bretagne) et la maison d'édition Futuropolis, habituée des titres exigeants et reconnus dans la sphère des comics indé' ; pour rappel, on compte chez eux les excellents Mind MGMTDepth H et Grass Kings de Matt Kindt ou encore le The Nobody de Jeff Lemire. En 2020, c'est une nouvelle édition intégrale du Shaolin Cowboy de Darrow que l'éditeur propose, dans une nouvelle édition qui met les petits plats dans les grands.

Ce premier tome, sorti au mois de juin dernier, regroupe l'ensemble de la première série consacrée au Shaolin Cowboy, publiée outre-Atlantique chez Burlyman Entertainment, et qui avait été découpée en trois tomes chez Panini Comics. Un regroupement aujourd'hui bienvenu, les pauses entre chaque numéro ne se faisant pas ressentir, et qui permet à tout le titre de se parcourir d'une traite. Qui plus est, soulignons d'emblée le superbe travail d'édition de Futuropolis sur le livre-objet : grand format cartonné, papier épais, de quoi profiter sans limites de l'incroyable travail de Darrow tout en donnant à l'oeuvre l'édition qu'elle mérite. Largement.

Mais qu'est-ce donc que le Shaolin Cowboy ?, diront certains. C'est assez simple : il s'agit de ce personnage, à la dégaîne de cowboy un poil rondouillard, aux origines asiatiques, expert de kung-fu et autres art martiaux, débrouillard, virevoltant, capable de transformer n'importe quel objet en armes mortelles, qui erre dans un désert à une époque inconnue, et trucide tous ceux qui l'attaquent en chemin. Oh, et il est accompagné d'un mulet causant, qui au contraire de son héros mutique, ne sait jamais quand se taire, enchaîne les commentaires et les vannes, à la façon de l'âne de Shrek. Sauf qu'il sait aussi très bien se battre.

Le récit nous porte donc au gré d'affrontements contre des ennemis plus absurdes (et géniaux) les uns que les autres, à commencer par un immense gang de roublards américains, menés... par un tourteau qui parle, lui aussi expert en kung-fu. Viendront par la suite des démons, un squelette causant, une armée de requins - bref, vous l'aurez compris, Darrow n'est pas là pour faire dans la dentelle, et d'aucun pourraient prétexter que le scénario de Shaolin Cowboy serait le point faible du récit, une simple excuse pour enchaîner les combats et un déchaînement d'ultra-violence qu'un Tarantino ou un Takashi Miike ne renierait pas. Sauf qu'il ne s'agit pas que d'un prétexte.

D'une part, Geof Darrow convoque avec ses héros et leurs antagonistes un imaginaire hallucinant de richesse, une ode aux idées les plus folles, qui n'aura que faire de la suspension de crédulité du lecteur - et c'est tant mieux. Les limites du possible sont sans cesse repoussées, en allant autant puiser dans l'imagerie du western (forcément, vu le lieu de l'action), du cinéma d'action et de kung-fu, que dans une mythologie plus orientale, où des démons d'inspiration européenne cotoireont d'autres yokai, où le gigantisme de créatures monstrueuses convoquent autant les légendes de l'antiquité que les récits de kaiju plus modernes. En témoigne une séquence ahurissante où peu à peu les éboulis provoqués par un énième combat du Shaolin Cowboy bouleversent le paysage avant que le lecteur ne se rende compte qu'il se retrouve désormais sur une sorte d'iguane géante qui porte une cité aux mille tours sur son dos. 

D'autre part, les planches du dessinateur fourmillent de détails, et tout ce qui y figure ne peut être placé au hasard, tant le soin apporté dépasse l'entendement. On prendra par exemple un plan-séquence (vraiment : la case ne s'arrête pas pendant douze pages) qui dévoile l'ensemble des acolytes du fameux tourteau parlant, et chaque homme ou femme est brossé avec attention, les détails vestimentaires, les acessoires, sont là pour raconter quelque chose d'eux, faire un portrait d'une partie de la société américaine ; les dialogues du mulet (Lord Evelyn Dunkirk Winniferd Esq. the Third de son nom) sont empreints de références pop-culturelles, allant parfois à citer explicitement d'autres héros de comics. La fascination de la violence de l'artiste, qui n'hésite pas à enchaîner mutilations, éviscérations et autres décapitations, parle pour elle même du rapport américain à la brutalité de sa société, et à sa représentation dans les médias de divertissement.

Surtout, c'est que Shaolin Cowboy est une maestria de mise en scène comme on n'en voit jamais. Reconnu comme héritier de Moebius (avec qui il a collaboré en début de carrière) et comme influence d'immenses artistes toujours en activité (Frank QuitelyJames StokoeAaron Kuder, sont immédiatement reconnaissables), Darrow applique autant de soin dans le dessin qu'il magnifie ses cadrages, décompose l'action de façon cinématique, que le voyage visuel est un délice de tous les instants. En termes plus directs et familiers, on dira simplement que chaque page est une claque. Une frappe visuelle qui entraîne le lecteur au plus proche d'une action hyper travaillée, que l'on s'amuse à décomposer, l'oeil du lecteur virevoltant au fil des plans que choisit l'artiste. Si le scénario et la relative présence de dialogues (ce sera du quasi muet dans le second tome) pourrait faire qu'on parcourt vite l'ouvrage, il est en vérité impossible de ne pas revenir sur Shaolin Cowboy une fois la première lecture, dense, passée. Impossible de ne pas aller étudier ces planches, cette folie qui s'en dégage, découvrir de nouveaux détails, et se rendre compte une nouvelle fois du génie artistique dont fait preuve Darrow à tous les instants.

Bien entendu, on pourra dire que si vous n'êtes pas client des exubérances visuelles, des imaginaires décomplexés et de l'ultra-violence stylisée, alors The Shaolin Cowboy n'est peut-être pas pour vous. La vérité, c'est que l'oeuvre est tout simplement un monument du comicbook, un indispensable de la BD sous toutes ses formes, même. Généreux au possible, dingue de la première à la dernière page, référencé, fou : on manquerait de superlatifs pour vous pousser à aller découvrir ce premier tome, et il faudra encore remercier Futuropolis d'avoir si bien travaillé cette nouvelle édition, qui profite en sus de quelques agréables bonus de fin, et d'une nouvelle traduction de Lorraine Darrow (oui, le nom n'est pas là par hasard). Le second tome est disponible à l'heure de publication de cette critique, on peut déjà vous le dire aussi : foncez dessus !

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