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par AntoineBigor - le 20/05/2016
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par AntoineBigor - le 20/05/2016

Tokyo Ghost - Tome 1, la critique

Après plusieurs années à travailler pour Marvel Comics, le scénariste Rick Remender s'est aujourd'hui lancé dans l'indépendant, chez Image Comics, avec plusieurs séries différentes, mais partageant toutes une énergie et un propos incroyablement riche et souvent passionnant. De Black Science à Low en passant par Deadly Class, l'américain impose ses thèmes et ses univers variés avec un talent et une productivité qui forcent le respect. Avec Tokyo Ghost, le scénariste s'attaque aux dérives technologiques de nos sociétés occidentales ainsi qu'à l'image du Japon féodal, aux côtés d'un autre artiste de talent, Sean Murphy.

Le récit commence par une narration assez poétique de Debbie DeCay, l'héroïne du récit, qui nous présente une Los Angeles ravagée par le Big One et dont les habitants se sont réfugiés dans le divertissement, le confort et la technologie grâce à des implants cérébraux permettant de rester tout le temps connectés à leurs jeux et autres shows TV préférés. Le flot constant d'images est alors devenu une drogue, que certains exploitent et que d'autres essayent de détourner. Le travail de Debbie, tueuse à gage accompagnée de son âme soeur Led Dent, est alors de se débarrasser des fauteurs de troubles comme le pirate Davey Trauma. Mais après cette mission, le jeune couple va vouloir s'enfuir de cet enfer technologique afin de se rendre à  Neo Tokyo, seul territoire où l'informatique n'a pas envahi l'esprit des hommes.

Rick Remender commence à être rodé quant aux introductions de ses différents univers. Là encore, il fait preuve d'une efficacité redoutable pour aborder une multitude de thématiques et présenter de nombreux personnages en très peu de pages. Ainsi, le scénariste va installer une relation incroyablement touchante entre ses deux personnages, l'un étant complètement accro à la tech' mais lui permettant d'être fort, l'autre étant complètement vierge de tout implant et cherchant juste le calme avec l'amour le plus organique qu'elle a à lui offrir. Ainsi, ce qui commence comme un film d'action post-apocalyptique d'anticipation laisse peu à peu la place à un vrai drame romantique, où le noeud des enjeux va se jouer dans l'évolution de cette relation singulière.

Seulement, si Rick Remender fait toujours preuve de talent lorsqu'il s'agit de digérer les concepts et influences qu'il greffe à son récit, il se perd un peu dans une narration trop chargée de texte, certes écrit (et traduit) avec beaucoup de sens, mais parfois lourd pour la lecture et la fluidité de l'album. Pourtant, Sean Murphy offre un découpage clair et dynamique, avec des planches extrêmement riches, foisonnant de détails et de jeu de perspective assez hallucinant. Si on pouvait reprocher une certaine répétition dans ses précédents travaux comme The Wake ou Chrononauts, il fait ici preuve d'une certaine fraîcheur dans son trait, mais également dans sa collaboration avec le coloriste Matt Holligsworth. Ce dernier semble toujours aussi fan des couleurs fluo, mais en fait un peu moins étalage et va s'illustrer par son travail sur les contrastes et les différentes variations d'une seule et même couleur. Seulement, si le travail apparait sublime, il semble assez peu compatible avec l'écriture du scénariste. Un sentiment d'autant plus fort à chaque flash-back, dont les cases sont magnifiques et les textes touchants, mais dont le parallèle a bien du mal à être fluide.

Malgré ces défauts qui ressortent une fois la lecture achevée, la faute surement à des attentes assez élevées, le récit se révèle malgré tout d'une richesse et d'une puissance rare. En se concentrant sur la relation de son duo/couple de héros, qu'il va amener vers leur rêve avant de faire preuve du sadisme qui lui est caractéristique en relançant totalement la donne, Rick Remender amène une touche personnelle qui transcende le récit, et notamment sa conclusion. D'autant que le scénariste, s'il aborde des thèmes déjà traités dans d'autres de ses oeuvres, fait preuve d'un optimisme bienvenu et d'une poésie souvent trop laissée de côté dans ses oeuvres les plus mainstream.

Ce premier tome de Tokyo Ghost pose un problème. Il réunit deux des meilleurs artisans de l'industrie des comic-books qui livrent un travail des plus honnêtes, personnel et intéressant pour le scénariste et passionné et magnifique pour le dessinateur. Seulement, comme une histoire qui n'arriverait pas à durer, le travail entre les deux artistes américains donne finalement un récit un peu bancal, au potentiel bien réel, que la simplicité et la linéarité assumée de l'intrigue empêche de devenir un instant classic comme d'autres séries de Rick Remender. Malgré tout, Tokyo Ghost reste une très bonne série, touchante en ce qui concerne le destin de ses personnages mais un peu trop sage et mécanique pour prendre la dimension qu'une telle collaboration méritée. On notera tout de même la volonté de remettre en cause la révolution industrielle, la société de confort et ses dérives, le tout dans un optimisme affirmé haut et fort par l'auteur. 

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