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par Alfro - le 18/07/2014
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par Alfro - le 18/07/2014

Transmetropolitan - Tome 2, la critique

• Voir aussi : la critique de Transmetropolitan - Tome 1.

L'exploration du futur décrépit et malade de Transmetropolitan continue dans ce deuxième tome qui sort chez Urban Comics. Un tome qui s'attaque à un fléau qui n'est pas exclusif au futur, bien au contraire : la politique ! Avec un tel champ d'étude, nous ne pouvions qu'embarquer dans un récit à la virulence sans pareille !

"The Word... Ils feraient mieux de s'appeler L'Omerta, putain..."

Le premier tome était là pour nous le faire comprendre, quand Warren Ellis attaque le futur, c'est notre présent qu'il écorche. Maltraiter un futur dystopique qui n'est qu'un reflet purulent de nos tendances actuelles, remettre à la surface toutes les horreurs du monde dans un univers d'anticipation qui n'a plus le temps de jouer la carte de l'hypocrisie. Tous nos vices étalés là, sous nos yeux révulsés. Ellis se marre, se fout de notre gueule clairement. "Je vous choque ? Ce n'est que l'exagération, la caricature de ce que nous sommes déjà !" Pas de compromis. Jamais. S'il lui reste un espace de liberté, un lieu d'expression totale, alors il va l'empoigner pour décharger toute la révulsion que lui inspire ce monde. Spider Jérusalem est en croisade au péril de sa santé mentale. Bien que celle-ci semble déjà bien attaquée. Putain, ça se trouve c'est déjà trop tard. Alors quand les élections sont sur le point de commencer, il se retrousse les manches, parce qu'il est temps de s'attaquer à la plus grande hypocrisie humaine. Dites à Warren Ellis qu'il est gauchiste, au mieux il se marrera, au pire (s'il en est déjà à sa troisième pinte)... non mieux vaut ne pas imaginer ce qu'il pourrait faire. Choisir un côté ? Très peu pour lui, le scénariste britannique préfère défourailler sur tout le monde.

D'ailleurs, à mesure que le récit progresse, que l'on rencontre les différents candidats en lice, bien malin celui qui pourra affirmer de quel bord ils s'affirment. Ici, le programme n'est qu'une blague, un argument publicitaire. Sans vraiment nous le dire, de toute façon Spider préfère l'agitateur d'intestins aux longs discours. Plus personne n'écoute de toute manière. S'il veut se faire entendre, Spider n'aura d'autre choix que d'asséner ses vérités à coup de pompes dans la tronche. Car voilà ce qui compte le plus pour lui, la seule chose un tant soit peu sacrée : la Vérité. Pas de bol, elle est guère compatible avec la politique. Mettre le journaliste de The Word au milieu des animaux politiques, c'est comme mettre une goutte de nitroglycérine dans un shaker, avec si possible assez de monde autour pour avoir un score honnorable en victimes collatérales. Piégé, dans une Ville qu'il aborrhe par-dessus tout, Spider est un prédateur blessé. Il va donc sauter à la gorge de l'instrument politique, ce système artificiel qui se pare d'un habillage démocratique. Une démocratie qui évidemment a tout compris des affects. Il faudra au moins accorder ça aux fascistes de tous bords, ils nous auront bien appris comment manipuler les foules. Bon, ils le faisaient grossièrement, les rassemblements dans les stades et les descentes dans les rues, c'est complétement tape-à-l'œil et assez has-been. L'affect est une arme bien plus dangereuse.

"On dirait que la convention décidera seulement de qui sera le prochain à nous entuber..."

Faire peur, donner de l'espoir, indigner... Toutes ces armes de la politique nouvelle. Du contrôle des masses à petites touches, guidant le peuple là où on veut qu'il aille. Sauf que rien de tout cela n'est la Vérité. Le Sourire, candidat de l'opposition, vile enflure qui n'hésite pas à se servir de la mort de ses collaborateurs pour attirer à lui toute la pitié, et donc les votes, de la populace. La Bête, président en place, le pragmatisme absolu, un animal politique prêt à toutes les exactions possibles pour rester au pouvoir. L'un comme l'autre, des salauds. D'authentiques fumiers, l'hypocrisie collée au corps, de ceux qui ont vraiment vu comment tournait le monde et qui ont décidé de l'utiliser à leur compte. Le moindre de leur chromosome vicié est tourné vers cette lutte presque insensée pour le Pouvoir. Bienvenue dans l'envers du décor, la politique ne connait ni morale ni éthique, cela n'a jamais amené les gens à voter pour soi. "Les gens". C'est là qu'entre une logique de masse. Les humains en groupe sont les êtres les plus stupides, apathiques et effrayés que l'on pourra rencontrer. D'ailleurs, Spider Jérusalem n'a aucune patience envers son prochain, il veut lui ouvrir les yeux, et il le fera avec un décapsuleur s'il le faut. Mais il ne manque pas de compassion, comme le prouve sa manœuvre pour insérer de force dans la campagne la question des logements sociaux.

C'est là où se tome va aller encore plus loin sur la psychologie du journaliste gonzo. Il est irrévérencieux, violent et est même la plupart du temps un salopard fini. Il est surtout en souffrance. Tout ce qu'il veut au final, c'est qu'on lui foute la paix, retourner sur sa montagne. Alors il va lâcher un dernier pavé dans la mare, désespéré par un monde qu'il ne voit pas revenir en arrière. Aucun espoir au milieu de ces rues où la vie n'a plus de valeur et où suinte une violence morale de tous les instants. Il souffre de voir tout le mal qui est expurgé par un système qui ne considère plus l'individu. Dans une logique de groupes et d'ensembles, de cases préfabriquées : ethnies, classes sociales ou même religions, des catégories qui permettent de traiter les humains en données quantifiables, rapidement digérées et qui ne montrent surtout pas une réalité à l'échelle de la personne. Il souffre aussi de voir qu'il ne peut rien y faire sinon y apporter un sain chaos. Quand tout va de travers er qu'il n'y a plus d'espoir, que reste t-il sinon la solution de la destruction de tous ces éléments qui ont contraint l'humain ? Tout ce potentiel unique utilisé pour devenir un consommateur zélé, le cauchemar. Alors avant de retourner dans sa cabane, Spider va lâcher les germes du chaos, de l'anarchie, et tant pis pour ceux à qui cela fait peur. Au moins, ce coup-ci, il ne sera plus seul.

Ce qui fait peur dans Transmetropolitan, c'est que la série date des années 90 et s'éloigne de plus en plus de la fiction d'anticipation à mesure que les années avancent. Warren Ellis fait preuve d'une lucidité inquiétante, ce qui va le rendre malade et nous avec. Mais si le discours peut paraître désespéré, il a aussi une lueur, non pas d'espoir (trop tôt pour ça) mais de salut. Ouais, le salut ça peut être une ceinture de grenades qui explosent en plein ciel éclairant un sourire qui sait que tout va changer. Spider Jérusalem vous emmerde, mais il vous aime aussi.

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