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par Johan - le 12/10/2015
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par Johan - le 12/10/2015

Trashed, la critique

La vie et l'oeuvre de Derf Backderf sont étroitement liées : Punk Rock et Mobile Homes revenait sur la scène punk d'Akron, Mon ami Dahmer sur la vie lycéenne d'un tueur en série en devenir... Deux albums qui trouvent leur origine dans la mémoire de l'auteur, qui a côtoyé dans sa jeunesse la salle de concert The Bank, référence punk des années 80, et Jeffrey Dahmer, dix-sept meurtres à son actif depuis. Trashed ne fait pas exception, Derf Backderf ayant lui-même fait l'expérience d'une vie d'éboueur pendant presque un an.

J.B a 21 ans, a quitté l'université et se retrouve coincé chez ses parents dans une ville perdue quelque part en Ohio. Sans qualification, il répond à une annonce du service d'entretien municipal qui l'embauche comme éboueur intérimaire, lui et Mike, un pote qui a pris exemple sur la mauvaise personne. Sous la direction de Wile E., supérieur despotique et ambitieux à la tête d'un service d'entretien municipal où règne la langue de bois, J.B et Mike devront affronter les quatres saisons et leurs joies respectives : marmites, torpilles jaunes, voitures en kit et j'en passe.

Bon, la mise-en-scène de la vie d'un éboueur n'est pas le sujet le plus sexy de la bibliographie de Derf Backderf. Pourtant, force est de reconnaître une certaine cohérence dans les trois derniers albums de l'auteur. Trashed, comme les précédents, s'intéresse à une Amérique profonde peuplée d'excentriques et d'archétypes névrosés. Son sujet, les ordures, s'inscrit dans une réflexion historique et politique permettant de dresser un portrait économique et social des Etats-Unis des années 2000. Dans des registres différents, Punk Rock et Mobile Homes et Mon ami Dahmer s'évertuaient également à inscrire un lieu et ses acteurs dans une réflexion plus large.

Livret d'une cinquantaine de pages à l'origine, Trashed a mûri jusqu'à prendre la forme d'un épais roman graphique après un écart du côté du webcomic. Backderf de son côté, a pris soin de réviser les techniques de travail des éboueurs pour se mettre à jour (son expérience remontant à la fin des années 70) . Mieux, il propose un court aperçu de l'histoire du traitement des ordures, citant quelques étapes et anecdotes qui ont mené au système actuel et remontant (tout de même) jusqu'à -3 000 avant Jésus-Christ. Sans basculer dans le cours magistral, Backderf émaille ainsi l'album d'informations diverses permettant d'appréhender les causes et les enjeux de son sujet quand il n'est pas occupé à torturer ses personnages.

Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'eux en prennent plein la tête. En exposant les incivilités quotidiennes des usagers, Backderf expose J.B et Mike aux pires dangers sanitaires imaginables et développe un humour qui s'articule autour du dégoût ressenti par le lecteur, qui aurait sans doute tendance à tourner de l'oeil s'il était lui-même acteur de l'album. Qu'il s'agisse de l'explosion des torpilles jaunes dans le compresseur (bouteille remplie d'urine utilisée par les automobilistes et abandonnée sur le bord des routes) ou de la guerre civile entre les différents membres du service municipal, barrés et dangereux, l'humour fait mouche et je n'avais pas pris un tel pied depuis l'exceptionnel Zaï Zaï Zaï Zaï de Fabcaro.

Malgré la somme de ses qualités, Trashed laisse un sentiment de vide à la fermeture de l'album. Un sentiment peut-être lié à la conclusion naïve de l'album ? Peut-être. Et pourtant, difficile de donner tort à Backderf. Un sentiment engendré par l'excellence de ses précédents albums ? Certainement. Trashed me semble être un cran en-dessous, sans que je ne parvienne réellement à en déterminer la cause. Comme s'il manquait quelque chose à Trashed pour passer du statut d'intéressant à marquant.

Trashed porte un regard original sur la société de consommation qui est la nôtre en s'installant à la queue de celui-ci, et met en lumière des comportements dénués de bon sens. Sur 240 pages, Derf Backderf raconte le quotidien drolatique de J.B et Mike, dont l'apprentissage difficile du métier d'éboueur permet de questionner et renseigner par étapes sur les enjeux du traitement des déchets. Le tout façon indé américain : dans le jus et la crasse.

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