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par Sullivan - le 10/03/2014
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par Sullivan - le 10/03/2014

Blast Tome 4, la critique

Jamais, ça ne m'était arrivé. Cinq jours que je suis bloqué face au syndrome de la page blanche, que je découvre bien malgré moi. Cinq jours que j'ai refermé Blast, bousculé et retourné, comme je m'y attendais, sans pouvoir poser les mots sur la mandale infligée par un Manu Larcenet au sommet de son art, tutoyant le monde du parfait, toujours plus tragique et passionné. Ceci est une nouvelle tentative de critique d'une œuvre qui m'échappe, que j'ai presque fui pendant des mois de lecture(s) pour mieux y revenir avec ce quatrième et dernier quart d'un tout desespéré, cruel et profondément authentique. 

Avant de vous parler de ce quatrième tome justement, il est de bon ton de vous parler de l'expérience qu'a représenté la lecture de Blast, étalée sur plusieurs années. Annoncée d'emblée comme le nouveau chef d'oeuvre d'un auteur qui n'avait plus grand chose à prouver, Blast fait partie de ces rares séries qui font l'unanimité critique et publique. Aucune raison donc de ne pas se lancer, et de ne pas vérifier par moi-même ce qui se cache derrière ce nom pour le moins accrocheur quoique nébuleux. D'emblée, le ton y est dur, on y fait la connaissance de Polza, de ses folles aventures au parfum de vraie France et de ses influx particuliers et pourtant connus de tous : les blasts. Prenant la forme de l'apparition d'une statue Maoï (ces statues que l'on trouve sur l'île de Pâques et qui restent un mystère pour beaucoup aujourd'hui encore), ces Blast ne se déclenchent que dans des situations extrêmes et/ou lorsque notre héros consomme de la drogue. Élément-clé de la narration de Manu Larcenet, ce pan entier de sa BD n'en est pourtant pas le poumon. Tout le sel de la série se trouve dans l'authenticité des aventures vécues par "Grasse Carcasse", de son passé que l'on découvre au travers de délicates couches de flash-backs, de l'histoire qui l'a amenée face à deux curieux enquêteurs et de son inéluctable futur.

Trois tomes, dévorés une première fois en train puis relus dans le calme le plus complet chez moi (un rituel qui s'est installé à mon insu d'ailleurs, puisque je ne m'en suis aperçu qu'à l'achat du Tome 4 mercredi passé), et autant d'histoires plus tard, Larcenet nous avait laissé pour compte avec un cliffhanger en forme de hâchoir lors de la dernière page du Tome 3, en Octobre 2012. Rendez-vous compte : 14 mois passés à relire, à gamberger, à interpréter les dires d'un personnage qui peine à se livrer énormément, malgré le caractère omniscient opté par la narration. 14 mois et une question : comment tout cela peut-il se finir, après ce rodéo infernal sur les routes de notre bon vieux (et crasseux) pays ?  

"Pourvu que les Bouddhistes se trompent". Une énième maxime cinglante et un étau qui se resserre pour Polza et Carole, nos deux Bonnie et Clyde à qui l'on aurait enlevé le glamour. Ajoutez à cela le personnage de Roland, rencontré dans le 3ème tome et amené à être développé comme peu de protagonistes avant lui (et qui nous rappelle sans mal Jacky, prophète punk et désabusé, croisé au coeur de ce long périple), et vous obtenez un cocktail détonant : la voie royale vers l'abysse. 

Je ne vous gâcherai évidemment pas l'intrigue qui se cache dans ces pages, que je vous invite à découvrir au plus vite, et je préfèrerais revenir sur la performance d'un Manu Larcenet qui est parvenu à boucler son drame de la plus juste des manières, toujours aussi écorché vif dans son dessin que dans ses dialogues (lui, rare défenseur du lettrage manuscrit) et éveillé face à son histoire. Nombreuses étaient les façons de conclure le récit, et l'auteur affronte ici la (dure) réalité, comme il l'a fait depuis 2008 et  la première page de Blast
Tout y est criant de vérité et de cruauté et l'odyssée vécue par Polza amènera l'ensemble des lecteurs à réfléchir sur la condition humaine et les jugements infondés. 

D'un point de vue plus pragmatique, les strips de Jasper, l'ours bipolaire, la représentation des Blasts et les collages de Roland sont autant de nouvelles trouvailles visuelles qui confèrent à Blast ce supplément d'âme et d'intelligence fabuleux, pour mieux renforcer l'atmosphère noire, puante et crasseuse du quotidien vécu par ces trois âmes ô combien particulières. Et comme si son oeuvre n'était pas suffisamment touchante, Larcenet parvient à nous conter avec brio l'histoire d'amour de ses personnages, qui les mènera jusqu'au bout, et jusqu'à la magnifique conclusion de ce quatrième, forte d'un dernier Blast subtile suivi d'un épilogue tout en justesse. 

À la hauteur de ses trois prédécesseurs, Blast Tome 4 est un coup de poing au visage et à l'estomac. Plus crue et plus vraie que jamais, cette conclusion clôt à merveilles six ans d'un travail fabuleux, déjà rentré au panthéon de la Bande Dessinée. Nous quittons donc Manu Larcenet après un voyage cathartique aux côtés de Polza, et nous sommes sûrs de deux choses : personne ne peut oublier les gueules croisées dans cette Iliade moderne et désabusée, et personne ne peut sortir indemne de la lecture de Blast. 

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