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par Elsa - le 19/02/2016
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par Elsa - le 19/02/2016

Breizhskin, la critique

Le Label 619 publie un nouveau titre intrigant, réservé à un public averti : Breizhskin. Plongée hallucinatoire dans le milieu du skinhead breton.

"Mon look frise la perfection."

Rennes, 1986. Yannick à seize ans, il est skinhead depuis bientôt un an, tout comme ses copains Loïc et Aymerick. Leur look est soigné dans les moindres détails, car dans leur vision encore naïve des choses, être skinhead c'est d'abord une question d'attitude. Ils sont "fiers d'être blancs et celtes", écoutent du RAC (rock against communism) et passent une bonne partie de leurs journées à mépriser le monde entier.

Mais un jour, Aymerick propose à ses copains de rencontrer Erwan, un "mec important", légende du milieu. Yannick et Loïc sont aux anges, mais vont bien vite réaliser qu'ils ont signé pour un weekend en enfer.

Bienvenue en Bretagne.

Breizhskin, dont Dav Guedin est le scénariste, est inspiré d'anecdotes racontées par un de ses amis, ex-skinhead. D'ailleurs, pour être plus précis, il s'agit ici de 'boneheads', mouvance d'extrême-droite qui se revendique skinhead mais auquel le mouvement skinhead (apolitique ou d'extrême-gauche) refuse de s'associer (les nuances sont parfaitement expliquées en préface de l'ouvrage). Breizhskin est une sorte de biographie romancée, qui nous plonge dans la réalité concrète, et pathétique, du quotidien des skinheads. 

Le dessin de Craoman, trash et en noir et blanc, évoquant la bd underground américaine, peut destabiliser les lecteurs habitués du Label 619. Car, même si le label s'est toujours nourri du comics et de sa richesse, ici les planches s'approchent beaucoup plus d'un esprit 'bd indépendante' que ce à quoi on avait pu s'habituer. Et pourtant, après seulement quelques pages, on retrouve ses marques. Le dessin est particulièrement maitrisé, riche d'une personnalité dérangeante, qui nous amène à contempler des illustrations à la fois horribles dans ce qu'elles représentent, et superbes graphiquement. La construction des planches est pleine d'originalité et particulièrement immersive. Soyez prévenu : vous aussi, vous vous apprêter à passer le weekend en compagnie d'Erwan, et vous risquez de ne pas en revenir indemne. Je le redis ici, mais c'est aussi le cas de l'histoire, Breizhskin comporte des images et des passages particulièrement violents  qui rendent l'ensemble plus que déconseillé aux âmes sensibles. 

Et si Breizhskin est très réussi visuellement (avec option malaise), l'histoire est toute aussi efficace. Le scénario est lui-aussi très immersif, l'histoire nous étant racontée par Yannick, qui nous invite comme un ami en qui il aurait confiance à faire partie de sa bande, à vivre avec lui un moment crucial de sa vie de skinhead. On ressent donc jusque dans les tripes ce qui va arriver aux personnages. Tout en étant raconté du point de vue du héros, le texte parvient à subtilement montrer tout le ridicule de ce qui se passe. Après tout, qui aurait besoin d'un narrateur extérieur avec des idiots pareils ? Ils se suffisent à eux-même pour montrer leur propre vacuité. On découvre à travers ces pages toutes la violence et les pseudo-idées du mouvement, tout en admirant surtout, fasciné, tout le vide qu'il y a derrière.

Si Erwan, ce "mec important" qu'il va nous être donné de rencontrer, est un véritable sociopathe, le trio d'adolescents embarqué sans en comprendre les conséquences dans ce weekend de formation montre surtout avec un réalisme glaçant à quel point le besoin d'appartenir à un groupe et d'être 'cool' peut devenir dangereux à l'adolescence. Car s'ils ne sont vraiment pas très malins (mais l'adolescence n'implique-t'elle de passer par une phase où l'on n'est jamais bien malin ?), leur radicalisation et la violence qui en découle est aussi une question de mauvais choix, de mauvaises influences et d'une opposition maladroite au monde qui les entoure. Le tour de force est là : l'histoire est puissante, pourtant ce qui s'y passe est absolument pathétique. Et c'est entre les lignes que la vraie force de cette bd réside : derrière les faits affligeants, les jeunes qui cherchent désespérément des repères, même les pires, sont légions sur toute la planète. Et les conséquences peuvent être lourdes.

Comme toujours chez 619, Breizhskin mêle un récit puissant, étrange et fort en sensations à une réflexion sans concession sur notre société et ses dérives. Cette bande dessinée vous invite pour un petit weekend en Bretagne, un véritable cauchemar éveillé. Bien plus glaçant parce qu'il est plus universel qu'on ne voudrait se l'avouer, que par la violence visible qui dégouline de ses pages.

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