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par Sullivan - le 9/06/2014
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par Sullivan - le 9/06/2014

Carnation, la critique

Fondateur des éditions Ego Comme X, ex-animateur et désormais professeur en plus de son statut d'artiste BD, Xavier Mussat est un touche-à-tout bien connu du monde des bulles et des onomatopées. De retour à l'art séquentiel pour la première fois avec Casterman, label qualité s'il en est, le Nimois a choisi de nous narrer son autobiographie le temps de 250 pages, proposées pour le prix assez exceptionnel de 25€ par son éditeur.

Se déroulant entre Angoulême et Paris, l'histoire prend au départ la direction de l'autobiographie pure et simple, où les grandes questions de la vie sont remplacées par le fait de savoir s'il est plus intéressant d'acheter sa baguette en île-de-France ou dans le Poitou-Charentes. Certes, l'introduction se fait par un dialogue interne aux allures absurdes, conférant d'emblée un statut plus original à l'exercice de la vie contée, et Mussat fait par la suite le choix de revenir aux sources de son histoire, en 1993 plus précisément. Pur produit des 90's, l'auteur offre toutefois une petite merveille de story-telling à partir de ces mises en abîme qui se multiplient à mesure que les pages se tournent.
Certes, son histoire est classique, son rapport aux femmes, au travail et à ses désillusions, au père et aux grandes questions sont déjà vus, mais l'artiste parvient à dépasser le cadre de l'étude sociologique de comptoir grâce à sa façon de raconter les sentiments, entre passion écorchée vive et représentation graphique sous acides.

Authentique, le récit ne souffre d'aucun tabou et permet d'aborder ces moments universels de la plus belle des façons. L'intérêt réside également dans le fait que l'artiste ne prétend jamais apporter de réponse aux questions qu'il soulève, mais d'avantage son interprétation de ces moments-clés, ainsi que la façon dont lui est passé à travers, avec les conséquences que cela peut parfois engendrer.

Excellent dessinateur malgré les apparences parfois simplistes de son trait, Mussat est surtut un formidable narrateur, qui a compris et digéré les codes de l'art séquentiel. L'action est souvent anti-climatique, réside sur l'importance des décors et des ambiances et se mue souvent en divagations de l'esprit, dont la représentation graphique éblouit à mesure que l'histoire avance, jusqu'au bouquet final métaphysique où les formes, l'organique et les digressions de l'imaginaire ne font plus qu'un.

Il est aussi intéressant de savoir, avant de se lancer dans la lecture, qu'il s'agit d'un récit dur, qui ne laisse pas d'avantage la place aux bons sentiments qu'aux mauvais. Carnation est une lecture pleine de mises en abîme et de grands moments de questionnement(s), et qui sait prendre le temps lorsque c'est important. Ce n'est donc pas une Bande Dessinée grand public, ni même un titre à mettre entre toutes les mains, mais il s'agit d'une vraie expérience sincère, de l'ordre de celles qui font évoluer le lecteur à mesure qu'il découvre un chemin différent du sien.

Carnation est une autobiographie de plus, certes. Cependant, au delà même de l'aspect égo-trip de l'oeuvre d'un Xavier Mussat qui semblait avoir besoin de nous raconter son quotidien souvent anti-climatique, le titre se transcende par la qualité des réflexions proposées, qui gagnent donc à être finalement classiques à l'échelle d'une vie, afin d'être assimilées par un lecteur qui n'aura aucun mal à se reconnaître dans les frasques de cet artiste un peu loser, mais ô combien avancé lorsqu'il s'agit de se questionner sur les relations humaines. Une réussite paradoxalement aussi commune dans la forme que rare dans le fond, et par extension naturellement précieuse.

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