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par Elsa - le 8/04/2015
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par Elsa - le 8/04/2015

Doggybags tome 7, la critique

Les tomes de Doggybags se suivent et ne se ressemblent pas. Et il faut bien dire que pour ma part, j'attendais ce septième opus avec encore plus d'impatience qu'à l'accoutumée, les trois histoires étant dessinées par des auteurs dont j'aime particulièrement le travail : François Amoretti (Burlesque Girrrl), Mathieu Bablet (Adrastée, La Belle Mort) et Mëgaboy qui fait son entrée au Label 619 (je vous surconseille au passage son très bon Jogogo aux éditions Radio as paper).

Grosse dose d'hémoglobine.

Comme toujours, les histoires de Doggybags sont inspirées de faits divers, de légendes anciennes ou urbaines. Cette fois-ci au programme : le retour dans sa ville natale d'un jeune américain qui a combattu en Irak (Welcome home Johnny), une nuit presque comme les autres dans un relai routier en Roumanie (Lupus), et un père endeuillé qui, pour se venger, part en expédition en montagne (Wintekowa).

L'amour du détail.

Casting cinq étoiles côté dessinateurs donc, et pour les scénaristes ? Pour la première histoire, c'est Run (que l'on n'a plus besoin de vous présenter, si ?) qui signe une histoire au réalisme glaçant, pour les deux suivantes, un autre nouveau venu : Hasteda. Run l'explique en préface, Hasteda est un ami du lycée, avec qui il avait commencé la bd de manière amateure. De quoi piquer notre curiosité. Les trois histoires sont très différentes, que ce soit dans le graphisme, le ton, le genre... Mais elles s'intègrent toutes parfaitement dans 'l'esprit Doggybags'. 

Il faut souligner les excellents choix éditoriaux qui, à mon sens, augmentent encore la qualité de l'ensemble. Avouons-le, heureusement que le récit signé par Run et Amoretti, sur le jeune vétéran, est en première position. Il est tellement insoutenable dans la violence de son propos et de ses images que les deux autres récits, durs et violents, mais quand même plus 'soft', permettent de redescendre un peu en tension avant de refermer le livre (et de ne pas faire trop de cauchemars). De même, placer le trait explosif de Mëgaboy entre deux dessinateurs au style très fin et détaillé que sont François Amoretti et Mathieu Bablet crée une rupture de style aussi rafraichissante qu'intéressante, rendant l'ensemble encore plus riche. Et comme toujours les bonus, fausses pub pleines d'humour, courrier des lecteurs, posters et dossiers explicatifs qui apportent une valeur ajoutée à l'ensemble.

L'esprit Doggybags.

Pour se concentrer sur chaque histoire, la première (Welcome home Johnny) est inspirée de plusieurs faits divers. Mais plus largement, c'est une réflexion sur la nature humaine, sa cruauté, et également sur cet immense décalage entre le regard que portent les vétérans sur la guerre qu'ils ont vécue, et celui, fantasmé, d'une partie de la population américaine sur le sujet. C'est peut-être une des histoires les plus fortes jamais publiées dans Doggybags. Par son propos et sa réflexion, mais aussi par sa violence très crue, où l'humain est le seul responsable (il est plus facile de garder une distance fascinée devant les crimes d'une créature que de contempler un de nos semblables massacrer son prochain). Le tout est sublimé par le trait tout en finesse de François Amoretti, par sa mise en scène pleine d'inventivité, de référence à l'Art, et qui allie plus que jamais le rétro à la modernité. On l'avait jusque là connu dans des univers doux, rock mais aussi délicats, féminins, il nous montre ici une facette plus crue, plus adulte, de son travail et fait de ce volume une lecture vraiment déconseillée aux âmes sensibles.

Lupus, le deuxième récit est une histoire violente, teintée de fantastique, où les cadavres s'empilent plus vite qu'on ne tourne les pages. L'histoire est simple mais va à l'essentiel, et permet d'introduire un dessinateur prometteur : Mëgaboy. Une mise en scène dont l'énergie évoque le manga, un trait à l'élégance brute et nerveuse, difficile de ne pas être séduit par son style original et diablement efficace. On pourra regretter le manque de décor sur certaines cases, qui donne parfois une petite impression de vide si on veut être tatillon, mais l'ensemble est réussi, bourré de tension et d'hémoglobine.

La troisième histoire est peut-être plus lente, plus poétique aussi. Le récit se construit au fur et à mesure de l'ascension de son héros, parti se venger. Pendant son avancée, il revit les faits douloureux qui se sont produits quelques années auparavant. Plutôt qu'un déluge de violence, il est plus ici question d'une longue plainte emplie de douleur, un cri glaçant, à la fois bestial et humain, qui descendrait jusqu'à nous depuis les recoins invisibles des cimes enneigées. Le dessin de Mathieu Bablet se prête à merveille à ces grands espaces et à ces personnages abimés par la vie. Il livre des planches sublimes, partagées entre deux traitements graphiques, pour différencier passé et présent, et laisse exploser en nous les émotions du héros, entre rage, tristesse et désespoir.

Ce Doggybags 7 est donc un excellent nouveau volume. Des histoires très différentes graphiquement, mais aussi dans leurs thématiques, leur intensité, qui forment à elles trois un joli résumé de l'esprit que Run et sa team ont insufflé à cet ovni du paysage franco-belge actuel. Un mix de pure violence, de folklores inquiétants, de réflexion sur notre société et sur la part la plus sombre de la nature humaine. Le tout magnifié par le dessin d'artistes à l'univers graphique très fort, et sans concession.

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