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par Alfro - le 14/11/2013
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par Alfro - le 14/11/2013

Ekhö - Tome 2, la critique

On connait bien Arleston, sa bande dessinée Lanfeust de Troy et ses nombreux dérivés étant l'un des plus gros succès commerciaux de ces dernières années. Il lui arrive aussi de sortir de sa zone de confort en abordant de nouveaux univers, dont celui d'Ekhö qu'il retrouve ici une seconde fois.

"Un Preshaun n'a pas à justifier de ses actions."

Ekhö, c'est l'histoire d'une jeune femme, Fourmille Gratule, qui se retrouve plongée dans un monde parallèle presque identique au notre, au détail près que la technologie a fait place à la magie. Nous pouvons ainsi voir des dragons remplacer les avions, la Tour Eiffel est faite de bois et de pierre et autres détails éparses. Qu'on se le dise tout de suite, là où l'exercice aurait pu être intéressant, tout ça n'est en fait qu'un alignement consciencieux de changements plus anecdotiques qu'autre chose, tant on n'est jamais surpris par ceux-ci. On n'est jamais arrêté par une prouesse imaginative, on ne se dit jamais "Bien joué, il fallait y penser !". C'est de la fantasy urbaine tout ce qu'il y a de plus classique, du Terry Pratchett en allégé, aucun concept ou idée nouvelle n'émerge de ce procédé qui aurait pu aisément être mieux exploité.

On se dit alors que ce n'est finalement que le prétexte littéraire, que tout cela ne sert que de décorum pour un scénario qui va nous emmener tambour battant. C'est sûr que l'histoire est menée pied au plancher. Les rebondissements sont légions, le rythme soutenu et l'action transpire des pages. Paradoxalement, on s'ennuie quand même ferme. La faute à une linéarité assez affligeante. On part d'un point A pour arriver à un point B, et le tout se déroule selon une métronomie froide, sans éclat, sans aspérité. Les situations sont convenues à l'extrême, on n'est jamais surpris. Le schéma : situation initiale, élément perturbateur, péripéties, résolution, situation finale, dans la plus pure expression de sa rigidité. Tout scénario est peu ou prou construit sur ce modèle, mais rien n'obligeait Arleston à l'écrire de façon aussi évidente. Le père de l'univers de Troy aurait pu mettre une ou deux circonvolutions, rajouter du corps à son texte. Les encarts remplissent les ellipses, les deus ex machina ressemblent à des lapins sortis du chapeau et on sait comment une scène va se résoudre dès que ses enjeux ont été posés.

On nous sort souvent l'argument "bande dessinée pour la jeunesse" pour justifier cette narration réduite à son squelette. Mais cela ne justifie rien du tout ! À une heure où tout un chacun à un accès étendu à toutes formes de narration, par la télé, le cinéma ou toutes formes de littérature (dont la BD), on ne peut pas nous fare un bréviaire du Scénario pour les Nuls comme si le lecteur était un demeuré profond. Pas besoin de faire de l'Oubapo, ce n'est pas le propos, mais de l'originalité, des changements de rythme, et ne serait-ce qu'une once d'émotion, quoique ce soit qui puisse nous sortir de la torpeur que nous procure une lecture qu'on semble avoir fait une dizaine de fois. L'exemple le plus symptomatique est cette scène de "sexe" entre les deux personnages principaux qui est amenée de façon la plus artificielle qui soit. Le procédé est tellement lourd qu'on croit d'abord à un fantasme avant de ce rendre compte que malheureusement ce n'est qu'une scène construite de travers. Le problème n'est ici pas moral, il aurait pu créer une situation d'une totale sensualité ou même bestiale à souhait, si elle avait été justifiée. Ici, on a la désagréable sensation qu'elle n'est qu'un prétexte à afficher Fourmille dans ses sous-vêtements et dans des poses lascives. Le plus dérangeant, c'est que cette scène ne semble être là que pour émoustiller des hormones adolescentes. Pourtant l'acné n'a jamais obscurci l'intelligence aux dernières nouvelles.

"Napoléon VII, voyons !"

Deux éléments sauvaient le premier tome, d'une part la nouveauté. C'est vrai que rajouter au voyage dans un monde parallèle, une capacité à accueillir l'esprit des défunts, cela offrait des situations intéressantes à dénouer. Sauf que l'on reprend à peu près le même schéma ici, que l'on a juste transposé à Paris (et hop, c'est parti pour un voyage touristique au pays du cliché, Tour Eiffel, Poulin-Rouge et autre café trop cher). D'un autre côté, il y avait le dessin de Barbucci, qui est toujours présent ici. Même si on le sent moins inspiré par la Ville de Lumière que la Grosse Pomme (sans doute parce que New York présente une architecture gothique plus à même de subir une transformation telle que celle-ci), il n'en reste pas moins attaché à offrir son lot de détails exubérants. Ses pages vivent avec une vraie intensité, il recrée un monde de façon crédible, chaud et animé. Réhaussé qui plus est par les couleurs de Nolwenn Lebreton qui souligne les traits tout en subtilité et stucture les cases par de jolis effets de profondeur.

En dehors des décors, le barque tangue un peu cependant. Déjà à cause du fan-service omniprésent, même les shônen n'osent pas autant les close-ups sur la poitrine de leurs héroïnes, et non, la taille de leur bonnet n'est pas une excuse valable. Ensuite, l'expression des personnages n'est pas toujours adéquate, l'aspect humoristique étant parfois forcé. Faut dire que la plupart du temps, on ne rit absolument pas à cet humour de situation et ces calembours digne de Laurent Ruquier. La finesse ? Connait pas. Quand on trouve une blague, autant l'exploiter jusqu'à l'épuisement non ? Non. L'humour est affaire de dosage, le non-dit est souvent plus efficace que le déballage bien grivois et lourd. Le personnage de Yuri est un cabotin plus insupportable que charmant à cause de cette tendance à bien expliquer la blague. Quand on vous dit : "Regardez-moi, je suis drôle", vous pensez que la personne en question est le mec drôle de la bande ou bien qu'il est pathétique ? Si c'est dit avec du second degré, cela peut éventuellement passer. Ici, il n'y a pas de second degré. Comme tout le reste, on montre tout, ne surtout pas laisser le temps au lecteur de réfléchir, ne le lui laissons pas l'opportunité de combler les vides par lui-même. (Arleston a inventé le concept de BD pour temps de cerveau disponible, alors que le créateur de Lanfeust a tellement plus à donner. Il a réussi le tour de force d'enlever la magie d'une histoire qui traite pourtant de magie. Un exploit finalement.)

Vous l'aurez compris si vous ne vous êtes pas juste précipité sur la conclusion, ce Paris Empire n'a pas su relever le niveau de la série, bien au contraire. Si le dessin est intéressant, le scénario plombé par sa linéarité abrutissante et son manque d'originalité rend la lecture complétement oubliable. Un instant de votre journée auquel vous ne penserez plus quelques heures plus tard. L'idée était pourtant là, avec des développements possiblement pertinents. Reste que le fil rouge avec les Preshauns mériterait d'être développé, et enrichir l'univers pour en faire une histoire vraiment captivante. Mais il faudra se donner plus de mal pour cela.

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