Parfois, la genèse d'un projet a des airs de puzzle. Le galeriste et éditeur Daniel Maghen avait proposé au dessinateur Maël d'enrichir un projet d'exposition (qui aura d'ailleurs lieu du 5 au 22 novembre 2014) avec des illustrations inédites. Peu après, Vincent Odin lui parle de son arrière grand-père et des documents sur sa vie au Front qu'il a laissé derrière lui. Des photographies, des papiers en tout genre, un herbier, et surtout un petit cahier d'instructions militaires rédigé par ses soins. Cette plongée dans la petite histoire se télescopant avec les recherches de Maël pour sa précédente bande dessinée Notre mère la guerre (scénarisée par Kris et publiée chez Futuropolis), cette découverte a donné naissance à Entre les lignes. Entre bande dessinée, recueil d'illustration, et documents d'archives, ce livre est un regard particulièrement réaliste sur la Grande Guerre.
Marceau Lafougère.
Julien Lafougère, qui se faisait appeler Marceau, est instituteur. Appelé sur le Front, il se met à écrire un cahier d'instructions militaires où il décrit les armes qu'il utilise, et leur fonctionnement. De la grenade au fusil mitrailleur, description détaillée, explication du fonctionnement, schémas divers et mise en garde décortiquent ces objets faits pour tuer. Ce sont ces textes que Maël utilise comme structure pour imaginer son livre. Les pages du cahier donnent naissance à des illustrations et à de courts récits mettant en scène des soldats. Du théorique on passe à la pratique, avec ces hommes mis face à face avec les armes, que ce soit pour s'en servir ou pour être tués par elle.
L'homme et l'objet.
Si Entre les lignes fait référence aux lignes de Front, c'est aussi une belle description de ce qu'est ce livre, où Maël imagine les destins qui se cachent derrière les objets décrits par Marceau. Mêlant habilement réalité et fiction, il construit son récit en fonction de la structure scolaire du soldat instituteur. Le résultat est à la fois très dense et aéré, surprenant et très riche. Si les textes d'archives, très techniques, rebuteront peut-être un peu les lecteurs à la recherche d'histoires d'hommes, les amateurs d'Histoire, et de bd historiques, devraient se régaler. Entre les lignes est une bande dessinée sur la Grande Guerre qui nous plonge au coeur des combats, dans leur cruauté et leur absurdité, tout en nous offrant l'opportunité de se plonger dans un document personnel vieux de cent ans et réalisé sur le terrain. Témoignage rare et précieux de la vie sur =le Front, sous l'axe didactique d'un cours sur le petit matériel militaire.
Maël prend la liberté de laisser courir son imagination à partir des documents qu'il a sous les yeux, livrant ainsi une oeuvre personnelle où le travail des deux hommes se répond en ping-pong à un siècle d'écart.
Graphiquement, son dessin réaliste est sensible et vibrant, parvenant à être à la fois élégant et sans concession sur la dureté des conditions de vie et l'omniprésence de la mort dans les tranchées. Dans des tons gris et sépias, les hommes, la terre et les armes sont tous des personnages, attendant l'heure de tuer ou d'être tués. Malgré la densité et le côté plus froid des textes de Marceau, Maël parvient à remplir son livre d'humanité et d'émotion.
Entre les lignes mélange le récit de guerre vécu, et le récit de guerre imaginé mais richement documenté. Un siècle les sépare, mais les deux auteurs semblent travailler en duo sur ce livre surprenant, témoignage à la fois technique et humain d'une période où la mort faisait plus que jamais partie du quotidien.
Exposition de Maël du 5 au 22 novembre 2014. Vernissage le 6 novembre à 19h en présence des auteurs. Galerie Daniel Maghen 47 Quai des Grands Augustins, 75006 Paris