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par Elsa - le 5/10/2017
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par Elsa - le 5/10/2017

Ernesto, la critique

Après Victor & Clint, Marion Duclos montre une nouvelle facette de son talent et de sa sensibilité dans Ernesto, un des petits bijoux de cette rentrée.

Road trip en pot de yahourt.

Ernesto est un petit vieux bougon. Après un malaise et un séjour à l'hôpital, il embarque son meilleur ami Thomas dans un road trip un peu fou. Ernesto vit à Tours, il n'a jamais remis les pieds en Espagne depuis qu'il a fuit le franquisme dans sa jeunesse. Et là, il se dit que c'est le bon moment.

Serrés dans la minuscule Vespa 400 que vient de s'offrir Thomas, ils prennent la route. Et si une panne les contraint à rester à Bordeaux, Ernesto va quand même voir s'entremêler passé, présent et avenir, en croisant sur sa route une petite communauté espagnole, venue en France pour les mêmes raisons que lui.

Une histoire de transmission.

Dans cette bande dessinée de 150 pages, Marion Duclos a su saisir à la perfection l'émotion que l'on ressent, une fois devenu adulte, en écoutant nos parents et grands-parents, raconter leur vie, leurs souvenirs. Même si le franquisme n'est pas forcément l'histoire du lecteur, on se prend tout de suite d'affection pour cette petite bande de personnages joyeux, drôles, touchants, qui recomposent la grande Histoire à travers leurs souvenirs éparpillés. Chaque destin fait partie de notre Histoire commune.

Le fond du récit n'est pas joyeux. Il est même rempli de douleur, de peur, de violence. Mais ces souvenirs là s'entremêlent à d'autres plus légers, à une joie de vivre apprise par nécessité et particulièrement communicative. Lire Ernesto c'est comme passer un weekend avec tous ces gens, là, racontés avec tellement de justesse qu'ils en deviennent vivants. Les écouter, le coeur rempli d'émotions, rire, pleurer un peu. C'est un récit tendre et bouleversant. Les passages qui racontent cette époque, sont forcément plus chargés en texte et riches en informations. Cela permet au lecteur de comprendre ce qu'était la vie sous Franco, mais aussi tout ce qu'implique la décision d'immigrer. Un message qui trouve forcément aussi écho dans notre actualité. Mais ces quelques pages qui peuvent sembler bavardes contrebalancent des saynètes plus simples et légères qui équilibrent l'ensemble, qui se dévorent avec gourmandise.

Un peu de larmes, beaucoup de rires.

Le dessin de Marion Duclos est particulièrement vivant. Énergique et plein de malice, il croque Ernesto et Thomas, et tous ceux qui les entourent avec beaucoup de tendresse. L'autrice nous emmène dans les troquets, dans les appartements, et même à un barbecue, passant du décor aux personnages, en s'attardant aussi sur des petits détails, des petits rien du quotidien. Son trait danse sur la feuille et si la colorisation est un peu simple, un peu passée, c'est pour laisser toute la place à l'essentiel. Et puis au milieu de tous, il y a cette famille dont on recompose l'histoire entre les lignes. Ernesto, sa femme disparue, leur fille Paola, leur petite-fille Isabelle et Lucie, la fille de cette dernière. Une lignée de femmes construite sur l'absence de la première d'entre elles.

Certains passages racontés sont très durs, parce que la vie de ceux qui ont vécu et fui le franquisme l'a été. Sans jamais amoindrir la gravité de tout ce qui s'est passé, l'autrice teinte son récit de légèreté, d'humour et d'un optimisme propre à ceux qui ont déjà tout perdu une fois et savent la valeur du présent. Et puis, Ernesto c'est aussi une histoire sur des vieux. Et l'autrice nous rappelle qu'être vieux, ça ne veut pas dire que la vie est derrière nous.

Tendre, malicieux, nécessaire, Ernesto est une bande dessinée toute en justesse sur la transmission, sur les souvenirs et puis le présent, sur la famille, sur les traumatismes de la migration, sur le bonheur aussi, pourtant. Une petite merveille.

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