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par Elsa - le 25/10/2015
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par Elsa - le 25/10/2015

Facteur pour femmes, la critique

Facteur pour femmes, une des nouveautés de la rentrée pour l'éditeur Grand Angle, vous emmène visiter une île bretonne, et surtout rencontrer ses habitants.

La rencontre des solitudes.

1914. La guerre vient de commencer, et les premiers appelés sont plutôt sereins. Pas forcément ravis de quitter femmes et enfants, mais on leur dit que tout cela ne devrait durer que quelques mois, alors soit. Sur la petite île bretonne où se déroule notre histoire, les hommes sont partis, bon gré mal gré, faire la guerre. Il ne reste plus que les femmes, les vieux, les enfants, et puis Maël, dont l'infirmité (un pied-bot) le préserve d'aller au Front. Alors, le temps que la guerre durera, il sera le facteur de l'île.

Oui mais voilà, un siècle plus tard on s'en doute, les hommes ne reviendront pas à temps pour les récoltes. Pendant plusieurs années, les femmes vont devoir tout faire seules pour survivre et faire tourner l'île. Et dans ce huis-clos maritime, au milieu de la solitude, il y a cet homme en chair et en os qui vient leur remettre les missives, seulement faites de mots et de papier, de leurs hommes partis si loin. Mais il n'est pas bien malin, et plutôt naïf au sujet de la chose, le Maël, il n'y a rien à craindre n'est-ce-pas ?

Mélange des genres.

Facteurs pour femmes est un titre surprenant, parce que difficile à classer. Cette bd prend place pendant la première guerre mondiale, et est indéniablement bien documentée. Mais c'est une fiction, sur une île qui ne se trouve sur aucune carte. Ce n'est pas vraiment une aventure, ce n'est pas une critique sociale, ce n'est pas véritablement une romance non plus. Et sans l'être complètement, par moment, cette histoire flirte avec le roman noir. Sans trop vous en dévoiler, attendez vous à tout à propos de Facteur pour femmes, vous risquerez quand même d'être surpris tant le récit cache bien son jeu.

Cette bande dessinée a donc plus d'un atout. Dans les extraits des lettres des hommes que l'on peut lire, on découvre la vie des poilus au Front. Elle sont forcément passées par la censure, mais tout de même suffisamment criantes pour en raconter l'horreur à demi-mot. Et à travers le quotidien des femmes, on réalise mieux ce que pouvait être la vie qui devait continuer, loin des combats, quand il n'y avait plus d'hommes et que les femmes devaient tout mener de front, avec des journées interminables et des responsabilités par dessus la tête. C'est ensuite un regard sur l'humain. Sur la solitude du coeur et du corps en ce qui concerne les femmes, sur un tout autre sentiment de solitude concernant Maël : rejeté par tous, et depuis toujours, à cause de son handicap, il devient tout à coup ami, confident, et peut-être bien objet de désir pour celles qui l'ont toujours ignoré. Maël est un héros intéressant parce qu'il n'est ni meilleur ni moins bon qu'un autre. C'est un garçon solitaire, élevé en se sentant différent et indésirable, confronté à une situation particulière, et qui regarde le monde et agit de son seul point de vue. Didier Quellat-Guyot n'essaie jamais de nous rendre son personnage principal attachant ou détestable. Il est, tout entier, et le scénariste nous raconte un bout particulier de sa vie. C'est une sensation par moment dérangeante, mais aussi une exploration très intéressante de la nature humaine. Celles des personnages, mais aussi celle du lecteur, confronté à des notions de morales qui n'ont plus vraiment leur place dans une situation aussi particulière.

Cela pourra sembler contradictoire, mais on regrettera cependant une construction très classique, quelque chose d'assez convenu dans ce récit qui aurait pu être vraiment hors-norme et bien plus dérangeant. Du coup, les émotions, quelles qu'elles soient, ont du mal à prendre, et on regrette de rester un peu en surface de cette histoire qui se proposait pourtant d'explorer l'humanité mise à nue.

Les amoureux de la Bretagne vont se régaler avec les planches de Sébastien Morice. Comme il le dit dans sa préface/remerciement, il ne s'est pas basé sur une véritable île bretonne, mais a nourri son imaginaire de ses propres souvenirs et émotions liés à différents lieux de la Bretagne. Tout en étant fictionnelle, cette île sauvage et battue par les vents sonne plus vraie que nature. La colorisation manque un peu de subtilité et apporte quelque chose de froid, mais les teintes choisies servent à merveille les ambiances, nous entrainant sur la côte, dans les champs, mais aussi à l'intérieur des foyers, gris et chaleureux à la fois. 

Le côté très classique du récit empêche un peu l'émotion dans ce Facteur pour femmes. Cela n'en est pas moins une histoire surprenante, un regard différent sur la guerre et ses conséquences invisibles.

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