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par Elsa - le 22/11/2018
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par Elsa - le 22/11/2018

Heimat, se réconcilier avec son histoire familiale

La Seconde Guerre Mondiale, mais aussi l'après-guerre, on nous en parle dès l'enfance, et chacun d'entre nous a noirci ses cahiers d'écoliers avec des dates, des évènements, liés à cette époque. Mais, à l'école en tout cas, l'Histoire nous est souvent transmise avec un certain biais. Difficile, alors, d'imaginer ce qu'était d'apprendre la seconde guerre mondiale dans un pays considéré comme le méchant de l'Histoire : l'Allemagne. Heimat, sélectionné pour le Fauve d'Or d'Angoulême, nous ouvre une porte sur ce vécu-là.

Recomposer le puzzle.

Dans cet ouvrage hybride entre le carnet, le livre illustré et la bande dessinée, Nora Krug commence par ce sentiment à la fois général et intime de ce qu'est être allemand(e), même quand on n'a pas connu la guerre, même quand ses parents sont eux aussi nés après la guerre. Les analyses de textes de Hitler en classe, l'hymne national que l'on ne chante pas, les débats sur s'il est judicieux ou non de montrer le drapeau allemand. Et à l'étranger, cette habitude que l'autrice prend de dissimuler son accent pour éviter les remarques, les moqueries, qui s'ensuivent trop souvent. Et toujours, toujours, cette culpabilité pesante.

Puis, petit à petit, commence pour elle une sorte d'enquête sur l'histoire familiale, pour répondre aux questions que son père et sa mère n'ont pas voulu ou pas su poser à leurs propres parents sur leur implication pendant la guerre. Alléger, peut-être, ce sentiment de culpabilité, en s'assurant que ses grands-parents n'ont pas participé au régime nazi. De ce sentiment de départ, assez universel, elle nous entraine dans son histoire intime, alternant son présent, ses voyages en Allemagne, et le passé qu'elle recompose grâce à ses petites découvertes. Comme un journal intime, elle glisse aussi dans son récit des trouvailles de brocante liées à cette époque, et des petits bouts de l'identité allemande qui sont chères à son coeur (du mot forêt et ses infinies déclinaisons poétiques aux pansements Hansaplast).

Intime et universel.

C'est un ouvrage dense, qu'il faut sans doute lire en plusieurs fois pour vraiment le savourer, sous peine de se retrouver enseveli sous les informations. Mais c'est surtout un témoignage sensible et très touchant sur les pensées qui occupent une femme d'origine allemande, qui vit désormais aux États-Unis, sur ce besoin de réveler ce qui se cache derrière les non-dits, autant pour savoir que pour se rassurer. Car l'autrice se prépare autant à apprendre le pire, qu'elle essaie de se persuader que sa famille n'a jamais été impliquée.

C'est un beau témoignage, c'est un récit familial (et même un double récit, puisqu'elle creuse à la fois dans l'histoire de son père, et dans celle de sa mère) qui se recompose par petits bouts, et où il faudra accepter de ne pas tout savoir. C'est un regard de l'autre côté de la frontière qui amène à se mettre un peu à la place de "l'autre".

Graphiquement, Nora Krug s'amuse et par là-même, nous amuse. Cela apporte sa saveur toute particulière au récit qui, malgré une thématique lourde et douloureuse, est plein de sensibilité et de fantaisie. Dessins, planches de bandes dessinées, longs textes comme dans un carnet sont enrichis de photos d'époque, de collages, et l'autrice alterne les manières de raconter pour mieux rythmer l'ensemble. Il y a beaucoup a digérer, mais on se régale.

Très dense, mais surtout très riche, Heimat est un joli témoignage, une enquête familiale et un petit bout d'Histoire côté allemand. Passionnant, parfois surprenant. Une belle expérience de lecture et un témoignage de l'intime. C'est sans doute en écoutant chacune des petites voix qui veulent bien nous en parler qu'on apprend vraiment à comprendre l'Histoire. L'album est disponible au prix de 32,50 euros chez Gallimard.

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