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par Elsa - le 16/11/2015
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par Elsa - le 16/11/2015

L'île Louvre, la critique

Depuis une dizaine d'années, les auteurs de bande dessinée prennent d'assaut les musées parisiens, en commençant par le Louvre, mais aussi Orsay (ce dont nous reparlerons plus tard), avec la complicité de l'éditeur Futuropolis. L'idée ? Raconter une histoire en rapport avec le lieu, et ses résidents, avec une liberté qui a jusque là donné des merveilles (citons par exemple le très beau Période Glaciaire de De Crécy).

Cette fois-ci, c'est Florent Chavouet qui investit les liens et nous emmène visiter L'île Louvre.

Regarder ceux qui regardent.

©Futuropolis / Musée du Louvre éditions, 2015

On le sait de ses deux premiers titres à mi-chemin entre le carnet de voyage et la bd, Tokyo Sampo et Manabé Shima, Florent Chavouet aime observer les gens. Il a donc choisi de nous raconter la faune du Louvres. Celle qui parle, regarde, prend des selfies et se perd dans le dédale des couloirs et des étages du musée. En observant, mais aussi à l'aide d'anecdotes racontées par les employés du Louvre, il imagine donc une balade où l'oeil se concentrerait sur ce qui se passe devant les tableaux, et pas à l'intérieur.

Il raconte aussi le musée, et ses oeuvres, par petites touches ou pleine page, en plaçant le point de vue à hauteur de regard, montrant ce que l'on voit, plus que ce qu'il y à voir.

Drôle et fou.

Les amateurs de l'auteur ne seront donc pas totalement dépaysés, quand bien même nous sommes passés du Japon à Paris (on y croisera d'ailleurs de nombreux japonais). On retrouve ici ce même amour des petits détails, des attitudes, du mot qui fait mouche. On sent que Florent Chavouet aime les gens, et surtout les étincelles qui naissent parfois de leurs échanges. Le Louvre, par son aura internationale, est visitée par un public du monde entier, aux attentes et aux regards multiples. C'est cet eclectisme qui nous est raconté, ou plutôt montré. En nous plaçant dans ses yeux, l'auteur nous fait vivre son présent, et nous oblige à nous caler à son rythme. C'est une sensation agréable.

Et le résultat est très drôle. La vraie vie n'a pas besoin d'artifice ou de réécriture, les situations les plus cocasses se présentent sans cesse à celui qui sait regarder, et ici écouter les petites histoires que d'autres ont à lui raconter. Le résultat est aussi, on pouvait s'y attendre, complètement dingue. Florent Chavouet ne se limite jamais ni aux codes de la bande dessinée, ni à ceux de l'illustration. La construction de ses pages est un espace de liberté jubilatoire. De pleines pages qui deviennent scènes de théatre (dont l'incroyable double page sur le hall d'entrée) à des petites scènes regroupées ensemble pour prendre encore plus de sens (ceux qui regardent le plafond, ceux qui passent devant un tableau au modèle particulièrement dévétu...). Au milieu de son observation, il se livre aussi à des réflexions plus ou moins délirantes sur le quotidien des statues, sur ce que pourrait être un résumé du Louvre en une seule image, et bien d'autres encore. 

L'auteur le dit, un visiteur au Louvre reste en moyenne trois heures dans les lieux. C'est court, pour tout voir, et c'est au fond la même sensation que l'on a à la lecture. C'est contradictoire, parce que le travail sur chaque planche est colossale. Il faut souligner d'ailleurs avec quel talent il a dessiné chaque oeuvre, pour un résultat à la fois très réaliste, et qui s'associe parfaitement à son style si particulier. Chaque planche est plus belle que la précédente, et le résultat est grandiose. Cependant, la lecture file vite, à toute allure, et on serait bien resté plus longtemps dans les lieux à réapprendre à voir les choses sous l'angle de l'absurde, du touchant, du vivant.

Et en même temps, L'île Louvre donne furieusement envie d'aller au Louvre, et de regarder le musée à travers l'oeil neuf que cette bd nous a donné. Elle nous invite à nous rappeler que le beau, et surtout le savoureux, et dans les détails, dans les instants, et dans les points de vue. Un autre petit regret, c'est que l'auteur reste en surface de son idée de transformer le Louvre en île. Ses passages sur le sujet sont, par leur incongruité, d'une poésie délicieuse, et on aurait bien aimé voir encore un peu plus ce qu'un musée-île peut avoir de spécial. Et en même temps, le fait que cette idée ne soit traitée que par petites touches nous la fait oublier la plupart du temps. ce ne sera qu'à la deuxième lecture que l'on notera certains détails et clins d'oeil où l'eau s'invite, amenant justement une poésie aquatique à des moments, et des lieux, apparemment anodins.

Si L'île Louvre laissera peut-être un petit goût de pas assez au lecteur, c'est justement parce qu'il est absolument savoureux. Drôle, intelligent, et très beau. Un regard curieux et joyeux sur ce musée exceptionnel.

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