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par Corentin - le 5/02/2018
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par Corentin - le 5/02/2018

La Valise : sept ans de vie contre la liberté

Dans les sorties récentes d'Akileos, on retrouve Renato Jones mais aussi La Valise, publication d'une centaine de pages à mi-chemin entre différents genres. Il s'agit de l'oeuvre de Gabriel Amalric, Morgane Schmitt Giordano et Diane Ranville, et se fait le témoin en un volume d'un passage par le fantastique, le récit de révolution futuriste (ou historique) et un ensemble esthétique qui cherche ses références dans l'Antiquité et l'art-déco' école Seconde Guerre Mondiale. L'ensemble est superbe, pour peu que vous aimiez le trait numérique. On rentre dans un volume auto-contenu en trompe l'oeil d'une thématique magique, qui rend accessible une lecture de récit classique sur le fascisme, avec quelques surprises.

Sorcière mal aimée

La Valise s'ouvre sur l'histoire d'un couple désireux de traverser une frontière, armée. C'est le contexte qui jalonne ce début de récit : dans une cité-état hésitant entre la dystopie traditionnelle des écrits du genre, un groupuscule qui sera parvenu à s'échapper monte une révolution modeste, dans son coin. L'ensemble graphique cherche dans le dieselpunk ses scènes de villes et de ruelles sombres. On retrouve dans les mains des milices de l'état le luger classique, un apparât d'uniformes qui évoque des souvenirs tendres à nos chers souchiens, et une patine entre le film noir et la représentation classique de la résistance sous l'Occupation.

L'arme secrète des rebelles est ici une sorcière, figure mystérieuse qui sera développée au travers de l'oeuvre. Armée d'une valise capable de contenir autant d'humains que nécessaire, celle-ci joue le rôle de passeuse pour ceux qui chercheraient à fuir la cité dictatoriale. Le reste du temps, la sorcière joue le jeu de l'état et participe aux fêtes mondaines données par le Dux, despote local qui voit en elle un trophée féminin à accrocher à son tableau.

L'histoire mute vite vers un autre registre. Les révolutionnaires sont en fait moins bien intentionnés que prévu, et c'est un double-propos sur la lutte politique qui se développe, assez rapidement mais avec assez d'éloquence : tout est simplifié et accessible, mais forcément, plus compréhensible. L'idée est que la lutte de pouvoir, qu'elle soit ou non bien intentionnée, peut mener au fanatisme et à la folie de l'égo, quand on considère que tout ceux qui ne pensent pas comme vous deviennent des adversaires à abattre. Parce que l'enfer est pavé de bonnes intentions, et c'est ainsi, cherchez pas.

Le gris, entre noir et blanc

Si le volume manque de place pour étayer son propos, et passe par des dialogues qu'on aurait aimés moins directs et plus dans le sous-entendu, c'est la richesse graphique qui appuie le propos de cette Valise. Par nuances de couleur, s'épanouissent les idéaux de chaque camp : la sorcière est représentée par le vert, les rebelles par le jaune et le camp des despotes, une fratrie aristocratique dont les idées se sont répandues chez le peuple, sont noirs.

On pense au départ que cette couleur a été choisie à des fins manichéennes. On pense aussi à ces peintures sur vase de l'Antiquité, où les héros grecs étaient représentés dans une parure noire ici joliment rendue. Mais c'est dans une sorte de jeu métaphysique que l'ensemble prend corps : les humains perdent ou gagnent en couleur selon le basculement de leurs idées, comme si la BD choisissait d'illustrer les courants de pensée directement, quitte à en faire une véritable arme de persuasion esthétique.

L'univers est, au delà de ce choix intéressant, réellement beau. On évolue du manoir de la sorcière entre des plaines glacées où volettent quelques hiboux à une ville froide ou inquiétante, faite d'ombres et de phares de voiture la nuit, de militaires entre la Rome antique et le IIIème Reich de jour. L'ensemble tient debout avec adresse, et on aime cet univers qui tient autant de la parure graphique des films Hunger Games que de Bioshock ou de toute bonne BD steampunk ou futuriste. Sur le plan des couleurs, un complément à cette histoire vient achever l'oeuvre pour nuancer l'idée que le noir est forcément la couleur du mal, ou inversement, que le mal se pare nécessairement de nuances évidentes. C'est aussi ce dernier pan qui vient enrichir le propos sur la manipulation des idées, et la capacité d'accès des gouvernants par d'indiscibles moyens.

La Valise est donc une jolie BD, qu'on aurait aimé plus longue, plus dense ou plus épisodique. La richesse des dessins et le travail sur la couleur ont un aspect inédit vraiment sympatique, de même que cette figure de sorcière si âgée qu'elle ne croit plus en la politique et ne connaît que trop bien le besoin de chasser un despote par un autre. Une lecture que l'on conseille, et contrairement à d'autres propos plus élaborés sur la déconstruction des modèles politiques, on peut la mettre entre toutes les mains.

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