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par Elsa - le 29/09/2015
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par Elsa - le 29/09/2015

Les Équinoxes, la critique

Trois Ombres et Portugal ont suffisamment marqué les esprits ces dernières années pour que Les Équinoxes, la nouvelle bande dessinée de Cyril Pedrosa, soit une des sorties les plus attendues de cette rentrée. Trois-cent-soixante-six pages en couleurs, l'ouvrage en impose déjà sur les étals de votre libraire... Prêts à y plonger ?

Automne...

Cette bande dessinée se déroule sur quatre saisons, une année, en commençant par l'automne. Elle nous présente tour à tour plusieurs personnages, en les observant dans leur solitude, lorsqu'ils se laissent aller à leurs émotions contradictoires, lorsqu'ils avancent sans savoir où, lorsqu'ils ne savent plus si leurs choix passés étaient les bons. Ces âmes solitaires se croisent, parfois de manière anecdotique, invisible, oubliée l'instant suivant, pour eux mais pas vraiment pour le lecteur.

La première chose marquante quand on commence sa lecture de Les Équinoxes, c'est que, plutôt que de nous préparer, de nous accompagner, Cyril Pedrosa impose dès le départ le tempo. Un peu comme s'il nous tendait son poignet, nous invitant sans mot dire à prendre son pouls, pour que nous nous calions sur son rythme. L'auteur explore, narrativement, graphiquement, il ne nous fait pas, pas plus qu'il ne se fait, le cadeau de la simplicité. Son récit est organique, viscéral, il change de forme, évolue, se décompose pour mieux se recomposer. Scènettes muettes, bande dessinée classique, dessins spontanés, et longs textes qui font basculer sans arrêt la bande dessinée vers le roman, puis inversement.

Intimité.

Cyril Pedrosa nous laisse observer à travers son regard l'âme mise à nue de ses personnages, dans ces moments où, justement, ils s'autorisent à ne plus faire semblant, puisqu'ils ne se sentent pas observés. Il ne dit rien, ne raconte rien. Il nous montre et nous laisse comprendre, deviner, imaginer. Lorsque l'on quitte les pages de bande dessinée et que l'on passe au texte, ce sont les pensées mêmes de ses personnages, les plus silencieuses et secrètes, qui sont sous nos yeux. Souvenirs douloureux, réflexions sur la vie ou bien chahut de pensées éparses provoquées par une émotion inattendue. Paradoxalement, il n'y a aucune sensation de voyeurisme pendant qu'on lit cette histoire. Plutôt le sentiment que notre propre solitude vient s'assoir à côté de toutes les leurs, qu'en silence on se comprend un peu.

Les Équinoxes est un titre exigeant, qui demande de l'attention, qui parfois nous perd un peu parmi tous ces personnages où l'on a quelque fois du mal à saisir qui est qui, tant personnages principaux et simples figurants sont traités avec la même attention, la même tendresse. C'est aussi un titre long, dense et qui réclame de faire une vraie pause, d'arrêter le temps pour totalement s'y plonger. Mais si on se cale sur le rythme de l'auteur, alors cet ouvrage à part devient une expérience particulièrement intense, marquante, douce et sensible. Il y a de la douleur dans presque toutes les pages. Des deuils, des hontes, du manque, des incompréhensions, des tourments. De ces douleurs qu'on dissimule mécaniquement derrière des "tout va bien" puisqu'on sait bien que personne ne peut rien y faire. Que chacun doit vivre avec ses fardeaux, ses blessures et ses cicatrices, que même entouré, aimé et aimant, on est toujours tout seul, finalement. 

Cette oeuvre est une nouvelle preuve, peut-être plus puissante encore que les précédentes, des multiples talents de son auteur. Des dessins superbes, une curiosité qui l'amène à sans cesse explorer et se mettre en danger, une humanité incroyable dans la manière dont il donne naissance puis met en scène des personnages qui sonnent justes, une même aisance dans l'art du dessin que dans celle de faire danser les mots pour nous entrainer avec lui en voyage au milieu des âmes qui, en confiance, se laissent aller à ne plus dissimuler leur peine derrière des faux semblants. Et puis, au beau milieu de la douleur, une lumière, des sourires, une poésie, une chaleur, qui rendent ce livre plus beau encore.

Les Équinoxes parvient à être à la fois à la hauteur de nos attentes, et infiniment surprenant. Un récit exigeant, mais si on parvient à y entrer, alors la magie prend vraiment. Une exploration des âmes qui, de la cacophonie, se transforme en une mélodie vibrante. Où les émotions secrètes des uns et des autres forment un choeur bouleversant.

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