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par LiseF - le 22/10/2018
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par LiseF - le 22/10/2018

Les filles de Salem : un album bluffant sur fond de psychose collective

Quand j'ai entendu parler pour la première fois en juillet de la sortie prochaine des Filles de Salem chez Dargaud, j'ai tout de suite été extrêmement curieuse. La plume visiblement fascinante de Thomas Gilbert m'intriguait évidemment, mais c'était aussi ce sujet qui m'attirait. Les sorcières de Salem. Une histoire vaguement connue d'à peu près tout le monde, et pourtant si mystérieuse. Une légende mêlant croyances populaires, religion et déboires politiques (pour tout vous dire, j'ai même fais mon TPE au lycée sur les sorcières). J'avais hâte de voir ce que Thomas Gilbert ferait de tout ça et ça n'a pas loupé : j'ai été complétement happée par cette lecture.

Le mal rôde dans le village...

Tout commence avec l'histoire à première vue banale d'Abigail. Cette adolescente habite avec son père et sa belle-mère dans une petite communauté du nom de Salem, aux États-Unis, au beau milieu des territoires des natifs américains. Entre les travaux épuisants aux champs, les prises de becs avec les locaux et le manque de nourriture, la vie n'est pas facile à Salem. Mais Abi a ses amis, et surtout la forêt qu'elle aime plus que tout. Tout commence à changer lorsque son ami le jeune Peter lui offre un petit âne de bois sculpté... Les potins fusent : que se passe-t-il entre les deux jeunes gens ? Abi a déjà à ce point grandi qu'elle devient un sujet de désir pour les hommes ? Ce jour-là, on lui coupe les cheveux de force et on lui met un tissus sur la tête. Dorénavant, elle devra parler à voix basse et marcher en contemplant le sol. Ainsi va la vie des femmes à Salem...

Et les choses ne sont pas prêtes de s'arranger. Les villageois sont terrifiés : il n'y a plus rien à manger, les récoltes sont mauvaises et les peaux rouges rôdent près de la communauté. Peu à peu, tous sont convaincus que le Malin est parmi eux, poussés dans leur folie par le cupide révérend du village. Les femmes, pointées du doigt par l'homme d'Église, vont devenir les boucs émissaires de ce qu'on appellera, ici littéralement, une chasse aux sorcières.

Entre vie quotidienne et délires sataniques

Quelle claque que cette lecture. Une claque graphique, mais une claque scénaristique aussi. Thomas Gilbert a su trouver le juste milieu entre les faits réels et la fiction. Un petit tour sur la page wikipédia (très bien documentée) des sorcières de Salem nous permet d'en apprendre plus sur la naissance du désastre et les différentes personnes impliquées. Pour des raisons de compréhension probablement, l'auteur ne les a pas toutes présentées dans l'ouvrage, mais plusieurs sont là, avec leur vrai prénom. En mélangeant scènes de la vie quotidienne des pionniers américains et délires sataniques, il parvient à créer une atmosphère puissante, prenante et mystérieuse.

L'album porte un fort message d'émancipation féminine. Abigail, qui est née et a grandi dans cette communauté, s'oppose pourtant aux règles de soumission établies pour les femmes. À travers un fait historique romancé, Thomas Gilbert nous renvoie un message extrêmement actuel, d'une justesse telle qu'il donne des frissons. Vous n'avez d'ailleurs pas fini de frissonner, parce que l'album ne nous ménage pas. Scènes de lapidation côtoient lynchages publics et délires zoophiles. Si les passages choquants ne sont pas nombreux, ils sont suffisament impressionnants pour que je vous mette en garde : cet album n'est pas à mettre entre toutes les mains !

Si ces scènes sont aussi terribles, c'est aussi grâce à  la qualité du trait de Thomas Gilbert. L'auteur est particulièrement doué dans la représentation de la nature, qui est ici tantôt apaisante, tantôt terrible. Ses personnages sont anguleux, et deviennent à certains moments surnaturels, caractérisant la folie qui prend de plus en plus possession des habitants au fil de l'histoire.

Vous l'aurez compris, Les filles de Salem est une lecture qui ne laisse pas indemne. C'est à la fois une fiction passionnante et bien racontée, mais aussi un petit morceau d'histoire qui en dit tellement sur notre société. Le tout est porté par un dessin libéré, sans tabou, vraiment adapté. L'album est disponible au prix de 22 euros chez Dargaud.

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