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par Corentin - le 21/08/2018
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par Corentin - le 21/08/2018

Les Vieux Fourneaux : un pied dans la tombe

Aux États-Unis, les adaptations de BD sont devenues monnaie courante au fil des ans. Aujourd'hui, elles représentent une part très importante de la production locale et, à défaut de susciter l'adhésion des sphères érudites et autres cimes culturelles, on peut en trouver des divertissantes, des bonnes, de très mauvaises et quelques réussites inattaquables, occasionnellement. En France, les choses sont un peu différentes.

Quoi qu'elles sortent à un rythme régulier, les adaptations de bandes dessinées offrent un pan de création d'où sortent assez peu de bonnes choses (à quelques délicieuses exceptions près). Les cases, les bulles et les pages de nos héros ou de ceux de nos parents aliment principalement un type de production : la comédie. C'est ce qu'on aime, en France : le vin, le fromage, la baguette de pain, Jean-Paul Sartre et les comédies. Avec Kev Adams ou Pef, ou les deux, les comédies avec des valeurs, les comédies avec de la rigolade, les comédies où c'est marrant de se marrer - bref, on aime le rire, voilà ce qu'aiment les Français.

Et si la BD Les Vieux Fourneaux prête à rire, en abordant des situations loufoques avec légèreté et le décalage de ses protagonistes aux blancs cheveux, l'idée n'est pas que d'amuser. Ces volumes, faits avec beaucoup d'intelligence, prêtent à réfléchir sur le décalage générationnel, le libéralisme, l'état de nos sociétés. Ou à émouvoir, avec ces héros qui ont vécu et véhiculent donc une certaine mélancolie. L'adaptation des Vieux Fourneaux, en revanche, n'a pas ces qualités - c'est un immense désordre qui ne sait pas quoi proposer entre une comédie familiale rigolote ou un drame de campagne, qui amalgame différents volumes pour une histoire qui se perd à vouloir trop en faire. Sur la ligne d'arrivée, le film assomme par chaos technique dans une adaptation cosmétique qui passe à côté de son sujet. On en parle ?

Problèmes de rythme

Les Vieux Fourneaux est le fruit du travail des studios Radar Films et Egerie ProductionFrance 3 Cinema a apparemment contribué, sans doute attiré par la possibilité de travailler sur un film avec des vieux à la campagne - autrement dit leur principal public. La mise en scène a été confiée à Christophe Duthuron, et il s'agit de son premier travail. Côté distribution (c'est un peu le seul élément marketing du projet pour ceux qui n'ont pas entendu parler de la BD), Alice PolPierre RichardEddy Mitchell et Roland Giraud se partagent l'essentiel du temps d'écran.

Au moment de la mort de sa femme, Pierrot, un ancien ouvrier syndicaliste, retrouve ses deux amis d'enfance. L'anarchiste énervé Antoine et le plus tranquille Emile, venus payer leur hommage à la défunte. Sophie, la petite-fille de Pierrot, est aussi revenue dans la région quelques mois plus tôt avec une surprise : elle est enceinte, et séparée. Comptant reprendre le théâtre de marionnette de sa mère, la jeune femme va apprendre à connaître le trio que son papy reforme avec ses deux amis, au moment où le vieillard part assassiner l'ex amant de sa femme d'il y a cinquante ans. 

Dès le début du film, on reconnaît des scènes - énormément de scènes, de très nombreux moments étant en fait des décalques du premier tome. À une différence près : Wilfrid Lupano, le père de la BD qui s'est aussi occupé de l'écriture du film, est un scénariste de BD. Et le cinéma, ce n'est pas de la BD. Le montage, le tempo, les découpages de scènes sont fatals à l'écriture de Lupano, qui confronte en plus ses personnages à une interprétation qui ne fonctionne pas.

Un film sans gravité

Là où le maquillage et le costume ont bien métamorphosé Pierre Richard en Antoine, lui ne fait aucun effort pour rendre attachant ou agréable ce stéréotype de papy borné et insupportable. On ne retrouve pas les nuances, l'humanité des héros de la BD dans cette version où chaque acteur s'arrête à une sorte d'exagération, avec une palette d'émotions réduite. Roland Giraud tient les deux tiers de ses scènes dans une sorte d'imitation grotesque d'Alain Juppé, en variant sur des regards lointains au front plissé pour les scènes d'émotion. Richard ne comprend pas l'intérêt de son héros, de son message sur l'anti-capital et n'arrive qu'à le rendre désagréable.

Quant à Mitchell il chemine, penaud, sans effets ou efforts. En résumé il ne joue pas grand chose et c'est probablement ce qui fait de lui le meilleur acteur du film. Trois héros qui viennent casser toute la profondeur du message de Lupano et Cauuet : les personnes âgées ont été des personnes avant d'être agées. Ici, chacun est une sorte de carricature de comédie française traditionnelle, sans le contexte idiot qui accompagne et excuse le registre habituellement.

À ceux qui ont lu le premier volume, deux scènes en particulier montrent assez bien la différence de point de vue : au moment où Emile va se baigner, on découvre des tatouages de tribus aborigènes sur lui, ce qui tranche avec l'imagerie de pépère inoffensif installé jusqu'ici. Antoine explique alors à Sophie qu'il a bourlingué, ouvert des mines, connu quantité de femmes - une façon de dire "n'oubliez pas qu'avant de perdre leurs cheveux et de vous offrir des pulls moches à Noël, les vieux ont vécu énormément de choses et vous devriez apprendre à respecter cela". Dans le film, cette séquence est coupée, mal montée et tombe à plat, on se fout un peu de ce moment où Eddy Mitchell fait trempête : la symbolique n'est simplement pas efficace.

Il en va de même pour la fameuse scène où Sophie envoie bouler les mamies dans un déluge de commentaires sur l'état lamentable de la planète que la vieille garde a laissé aux générations futures. Un propos fort, intéressant, qui dit des choses sur ce qui intéresse Les Vieux Fourneaux. Dans le film, cette scène est un moment de comédie basique, lourdeau, le coup de gueule à la Marina Foïs ou Josiane Balasko - pas forcément mal joué, juste, hors contexte et castrateur. 

On ne rit pas, on ne pleure pas non plus

Les Vieux Fourneaux va chercher du drame dans sa comédie, mais essaye aussi d'instiller ses idéaux politiques. Rien ne fonctionne, parce que le film qui se construit en cours de route essaye de trop en faire. On ne sait rien du père de l'enfant que porte Sophie, un temps assez considérable est passé à observer Alice Pol jouer sa propre grand-mère dans des scènes passées plutôt stylisées  - mystérieusement, puisque le reste du film évolue dans une certaine paresse du côté artistique. Il est possible que le cachet des acteurs ait entamé le gros du budget, puisqu'à part les flashbacks de Lucette et Emile, rien n'est fait pour proposer quoi que ce soit d'original visuellement.

En tant que comédie, Les Vieux Fourneaux ne cesse de se heurter à une lenteur générale qui tâche - la scène du policier, réel exemple du problème. On comprend l'idée mais on attend le gag, pour tomber sur une impression générale de "c'est tout ?" puisque Lupano n'écrit pas ses comédies comme Alain Chabat. Dès lors, ne reste que la partie drame de la BD sur laquelle se reposer, et il y a drame en effet.

En conjuguant le premier tome et une histoire qui n'interviendra qu'ensuite à propos d'œufs et d'EmileLupano trébuche sur son envie d'aller trop vite. L'arc des œufs, qui parasite le film comme une sorte d'histoire principale après l'histoire principale, accouche d'une résolution plutôt catastrophique, parachutée, et qui va en plus envoyer un signal trompeur aux analystes. Puisque, sur le papier, Garan-Servier, la métaphore du patron libéral, passe ici pour plus valable que les trois anarachistes qui l'auront combattu toute sa vie. Il est présenté comme patriote, pugnace, réellement amoureux de Lucette et absout de ses pêchés par la sénilité. Là où on apprend le sinistre passé des vieux en mêlant à tout ça un référent que France 3 en particulier adore : le passé lié à la Seconde Guerre Mondiale et à la Collaboration ! 

Bref, toute une série de choix problématiques dans l'écriture, quoi qu'on ne doute pas que le résultat aurait été bien meilleur avec l'appui d'une narration séquentielle. C'est aussi quelque chose à souligner : il s'agit d'un premier film, pour le réalisateur et pour le scénariste. D'où une série de tatonnements devant lesquels on s'endort, comme un vieux à 21h.

Sur la ligne d'arrivée, le film ne crée par de sentiment de progression, la grande majorité de ses blagues ne fonctionnent pas, la partie dramatique non plus et les acteurs desservent les figures plus douces ou plus complexes de la BD. On sent que le projet n'a pas forcément reçu un budget conséquent et que certains postes ont manqué d'expérience ou de temps pour finaliser leur travail. Cela étant, si on est loin des catastrophes de type Gaston Lagaffe ou encore plus loin des rêveries un rien soporifiques  de type Bécassine, il n'est pas compliqué de voir quel public les studios ou le distributeur ont tenté de capter. Le problème c'est qu'on ne peut pas vendre un esprit de comédie familiale à la Française avec une BD qui a plus de choses à dire - à moins de vouloir accoucher d'un téléfilm dans lequel personne ne se retrouvera, et un réel gâchis pour une BD qui méritait mieux.

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