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par Alfro - le 29/10/2013
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par Alfro - le 29/10/2013

Maori 1 : La Voie Humaine, la critique

Certaines bandes dessinées vous titillent dès le descriptif. Maori en fait partie, avec son scénariste confirmé et reconnu dans le monde du polar, ainsi que son dessinateur globe-trotter qui s'éclate tout autant chez Marvel que lorsqu'il s'amuse avec l'héritage d'Hugo Pratt. Une association pas forcément évidente mais qui attire forcément la curiosité.

"L'Utopie est la vérité de demain."


Pour bien situer là où plonge la tête la première, il faut déjà connaître le parcours du scénariste, Caryl Férey. ce dernier, baroudeur qui est tombé amoureux de la Nouvelle-Zélande bien avant que cela devienne la mode avec les films de Peter Jackson, s'est servi de ce cadre finalement pas si exotique pour écrire deux polars, Haka et Utu.  C'est dans la veine de ces deux romans reconnus qu'il va écrire sa première bande dessinée. Il n'est jamais évident pour un romancier de passer à l'art séquentiel, ce n'est pas le même métier, et surtout, les codes d'écritures sont très différents. Mais le socle narratif reste le même et il n'a donc aucun mal à nous délivrer un pur polar noir, avec son personnage principal Jack Kenu, flic dépressif et véreux auquel il ne reste que le boulot. Ces truands tous plus minables les uns que les autres, et des politiciens qui se jouent de la vie des gens. Même l'élément perturbateur n'est pas surprenant : une jeune fille retrouvée morte sur la plage. On aurait pu remplacer le héros par Bruce Willis et la Nouvelle-Zélande par le Los Angeles des années 90, et obtenir ce qui aurait pu être un film parfait pour Tony Scott ou John McTiernan.

La force de ce récit va justement être de nous proposer une histoire que l'on semble connaître pour l'enrichir d'un contexte et d'une écriture particulièrement bien ciselée. Il est encore plus difficile d'essayer d'écrire dans un genre aussi codifié, les récifs narratifs sont nombreux dans les eaux de leur création. Là où Férey les évite, c'est qu'il offre un contexte politique et économique riche, dans un pays qui est touché de plein fouet par la crise, bien loin des cartes postales que nous offrent habituellement les documentaires. Il y a grâce aux débats politiques une véritable réflexion latente, et même une tentative plutôt réussie de délivrer au travers du Député Witkaire un message utopique sans que celui-ci ne paraisse trop idéaliste.  De plus, on effectue une véritable visite des bas-fonds de la Nouvelle-Zélande, qui exhale l'anthenticité par tous les pores, servie par le dessin d'un Giuseppe Camuncoli qui s'attarde particulièrement sur des paysages à couper le souffle (magnifiquement réhaussés par les couleurs de Stéphane Richard) et des ambiances qui mêlent l'atmosphère lourde et moite du polar à une contemplation presque introspective.

"Le ciel tombait sur le Pacifique."

D'ailleurs, si l'on s'arrête plus longtemps sur le travail du dessinateur italien, on ne peut qu'être saisi par la puissance narrative qu'il a su insuffler à ses illustrations. Certes, les ambiances sont incroyablement bien restitutées, tout en subtilité. Mais la véritable force se situe dans le fait que l'on lit cette bande dessinée comme si on était devant un film. Le découpage cinéatographique, avec ses temps-morts, ses respirations et ses scènes d'actions saccadées font d'Hollywood une référence évidente pour le récit. Le polar est un genre qui demande beaucoup à son ambiance, mais qui repose surtout sur ses personnages. C'est un genre qui doit être habité par des figures bigger than life, des "gueules de cinéma", et Camuncoli leur donne une présence, une réalité sur papier qui absorbe le lecteur. Que ce soit Jack, qui est la figure du flic ambigüe, sur lequel les ombres construisent une dichotomie impressionnante, ou une galerie de personnages secondaires (qui sont le véritable décor de cette œuvre), le meilleur ami/légiste McEnroe en tête et son air de dragueur insupportable mais seul confident de l'anti-héros.

La principale crainte que l'on a en commençant la lecture, c'est d'assister à une prose qui aurait été artificiellement transformée en bande dessinée. On a souvent vu le cas de romanciers qui ne s'approprient pas leur nouveau média et qui livrent un ouvrage indigent. Ce qui n'est pas le cas ici, même si certains encarts montrent clairement "l'origine" du scénariste, avec un style très descriptif qui n'est pas habituel dans ce genre de BD et qui dénote un peu par rapport au découpage cinématographique de l'œuvre. Heureusement, il s'approprie le langage du 9ème Art, laisse certaines scènes s'exprimer par elles-même. Revenons juste un instant sur cette simple page où Jack est sur sa terrasse au couchant du soleil. Aucun texte qui montre le dépouillement total de l'esprit du personnage, sur le fil du rasoir avec cette simple balle posée sur la rembarde. La question du suicide n'est pas évoquée nommément, laissant le lecteur combler les vides. Cet instant où le chat renverse cette balle avant de lui faire un câlin est un condensé d'émotions et un véritable séïsme quant au sens de l'histoire. Servie par les dessins sublimes de Camo', cette simple page résume à elle seule la maestria dont les deux artistes sont capables, et nous laisse espérer un second tome du même accabit, voire encore plus accompli.

Maori est donc un polar des plus classiques, mais qui va chercher ses influences aux bons endroits et dont la maîtrise tant scénaristique que graphique en fait un très bon moment de lecture. Surtout que comme à son habitude, Ankama nous livre une édition travaillée et sublime qui ne pourra que ravir les amateurs de beaux ouvrages.

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