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par Elsa - le 22/11/2013
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par Elsa - le 22/11/2013

Millenium tome 2, la critique

L'adaptation en bande dessinée d'une œuvre littéraire est un exercice compliqué. Le rythme sera nécessairement différent, il faudra condenser beaucoup de choses, en passer certaines sous silence même. Et puis il y a la mise en image. Si elle permet de se passer de longues descriptions, elle peut décevoir le lecteur qui avait mentalement construit des décors, s'était imaginé les visages des personnages... C'est une question de savant dosage. Il faut savoir s'imprégner du roman, se l'approprier puis prendre ses distances.

A ce jeu-là, Sylvain Runberg et José Homs en ont surpris plus d'un, car leur Millenium n'est pas juste une adaptation réussie, c'est une bande dessinée véritablement excellente.

Enquête suédoise

Pour ceux qui n'ont pas lu le roman, Millenium est un polar qui prend place en Suède. Mikael Blomkvsit, journaliste spécialisé dans la finance et la politique a fourré son nez là où il ne fallait pas, et sa carrière, tout autant que son journal, en sont fragilisés. Juste à ce moment-là, un riche industriel fait appel à lui pour résoudre une affaire vieille de deux décennies : le meurtre de sa nièce, dans le huis-clos de l'île où réside toute la famille. On suit en parallèle Lisbeth Salander, une jeune enquêtrice dont les méthodes flirtent presque toujours avec l'illégalité, chargée, au début de l'histoire, d'en apprendre plus sur Blomkvist.

C'est avec cette histoire que Stieg Larsson, malheureusement décédé avant la publication de ses romans, entama la saga Millenium. Best-seller mondial, il attirait l’œil sur la littérature suédoise, et nous rendait accro à cette ambiance glaciale, aux décors superbes et à ses personnages charismatiques. Et si Mikael est censé être le personnage principal, Lisbeth crevait déjà chaque page de son aura étrange, borderline et explosive.

Adaptée ensuite en série (redécoupée en film) en Suède, puis au cinéma aux États-Unis, on pourrait ressentir une légère sensation d'overdose en découvrant l'adaptation bd sur les étalages de notre libraire préféré. Et bien laissez-moi vous dire que s'arrêter à cette première idée serait vraiment dommage, tant cette version de l’œuvre va réussir à vous surprendre, vous captiver, vous bluffer, même quand vous connaissez l'histoire sur le bout des doigts.

Adapter et réinventer

Sylvain Runberg a eu envie de s'attaquer à cette adaptation bien avant que la série ne rencontre le succès qu'on lui connait. Il a vécu en Suède, et connait chaque endroit visité par les personnages. Son talent a été de complètement se réapproprier l'histoire, de la digérer et de nous en offrir une vision un peu différente, comme racontée sous un autre angle. Le ton, le rythme, les enjeux n'ont plus rien à voir, et pourtant c'est bien la même intrigue. Il modifie même certains lieux, donne une place plus ou moins importante à des personnages, et nous raconte des passages dissimulés entre les lignes du roman. L'expérience de lecture décontenance. On perd ses repères et on se retrouve complètement captivé par cette nouvelle version. Car le récit de Runberg n'est pas simplement différent, il est surtout excellent. Bien écrit, servi par une construction implacable qui laisse pourtant la place au développement des personnages.

Les deux tomes parus forment en fait un diptyque reprenant l’enquête du premier roman, Les hommes qui n'aimaient pas les femmes. Si cette version est donc par obligation très condensée, et passe sous silence pas mal d'éléments du livre, elle contient l'essentiel, et s'accorde le temps pour des détails précieux. Ce second volume est à la hauteur du premier et parvient à conserver le même niveau de tension, sans jamais s'essoufler ou au contraire aller trop vite.

Au talent de conteur de Sylvain Runberg, il fallait une réponse à la juste mesure, et José Homs semblait tailler pour le rôle. Son dessin sublime revisite lui aussi toute l'esthétique que l'on avait pu jusque là se construire dans nos têtes, entre la vision fantasmée de la Suède que l'on pouvait avoir et les deux versions filmées. Son trait est beau, élégant, racé. Il déborde d'une énergie parfaitement dosée, entre sensualité et agressivité. Ses héros ont des gueules incroyables, et sa Lisbeth éclipse même l'incroyable Noomi Rapace (qui interprétait le rôle dans la version suédoise). Plus rien d'autre n'existe dès qu'elle est là, elle occupe les cases de sa désinvolture sauvage, entre puissance et extrême fragilité. Les décors ne sont pas en reste, et on ressort de la bd avec la sensation troublante d'avoir passé quelques jours en Suède, tant de la précision des détails à la colorisation superbe (pour qui on pourrait encore consacrer un paragraphe entier tant elle est belle) donnent une lumière réaliste à l'ensemble. La mise en scène enfin, cinématographique, ultra efficace, achève de rendre cette lecture bien meilleure encore que tout ce qu'on aurait pu imaginer.

Millenium est une bande dessinée belle, captivante et riche. Les personnages sont fouillés, l'intrigue travaillée, et que l'on ait déjà lu les romans ou non, n'importe quel amateur de polar devrait tomber sous le charme. Petite précision tout de même : le duo ayant choisi de montrer les crimes, la lecture de ce titre est à déconseiller aux âmes sensibles.

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