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par AntoineBigor - le 15/04/2016
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par AntoineBigor - le 15/04/2016

Morgane, la critique

La légende du roi Arthur est une mythologie bien connue en Europe, qui a eu le droit à de multiples relectures à travers le temps. Déjà, dans les écrits classiques, différentes versions s’affrontent et s’opposent. Il en est de même pour le cinéma, la télévision ou la BD, chaque art ayant eu le droit à plusieurs visions des chevaliers de la table ronde, de Richard Thorpe à Alexandre Astier, en passant par les Monty Pyton ou encore Dove Attia (oui oui). Et avec Morgane, les auteurs Simon Kansara et Stéphane Fert explorent une autre facette de la légende en épousant le point de vue du personnage de Morgane, généralement présenté comme méchante, et qui est ici l'héroïne.

Morgane raconte donc l'enfance et la lutte de la demi-soeur d’Arthur, roi de Bretagne depuis qu’il a retiré Excalibur du rocher, accompagné de Merlin. Ce dernier, qui a d’ailleurs élevé la jeune sorcière, manipule les forces politiques du pays pour le faire sien. Une supercherie que son élève va très vite découvrir, pour lui faire face. Dès le concept, la figure de Morgane change sans vraiment dénaturer le personnage. Elle devient principale, donc un peu plus morale que sa description classique, mais toujours autant attirée par les ténèbres et le mysticisme. L’idée n’est pas sans rappeler le Luthor de Brian Azzarello, s'il avait finalement raison. En épousant totalement le point de vue de son héroïne, Simon Kansara dépeint un royaume de Bretagne en perdition et enclin à la cruauté la plus grasse et bas du front de la part des chevaliers.

Un mélange de réalisme et d’exagération qui installe une ambiance des plus sombre et malsaine. Les personnages sont en cela une incroyable galerie de pervers ou benêts, à la dimension comique indéniable, restant malgré tout soft et discrète au profit d'une ambiance pesante. Cette inversion morale, ou point de vue divergeant dirons-nous - tant l’auteur arrive à justifier son récit comme possible interprétation de la légende - est le vrai moteur du récit et permet d'éviter à l'histoire de tomber dans les écueils évidents du genre en bousculant les codes, notamment de la place de la femme à l'époque.

En effet, l’écriture du récit se révèle des plus féministes. Autant dans la représentation, le caractère ou le rapport aux hommes, Simon Kansara touche à des sujets bien réels et leur offre des réponses assez évidentes. L’image de Guenièvre à la cour, le rapport malsain entre Morgane et Arthur ou encore la conclusion du récit sont autant d’éléments qui offrent des personnages féminins forts, seuls gardes-fous d’un royaume corrompu. Une corruption d’origine magique, finissant de façonner un univers fantasy assez envoûtant en toile de fond. Une couche de mystique qui est apporté autant par le scénario que par les incroyables planches de Stéphane Fert.

Si le scénariste pose des bases extrêmement solides avec un récit adulte et ténébreux, son acolyte va apporter tout son savoir faire pour le rendre unique. Le parti pris graphique de l’album est celui des formes rondes, du travail au pastel gras et des couleurs vives mixées à un noir profond. L’effet recherché semble autant être le décalage - le style étant assez enfantin au premier abord avant que le récit nous amène bien loin de ces contrées - que le rapprochement à une imagerie ecclésiastique/quasi-religieuse avec des planches magnifiques rappelant certains vitraux ou illustration de vieux bouquins. Le style de Fert, forgé aux beaux-arts et en école d’animation, rappelle aussi bien le trait de Tomm Moore que le travail de Bryan Lee O’Malley, tout en se rapprochant de l’ambiance gothique d’un Mike Mignola sur Hellboy. Pour son premier travail professionnel en séquentiel, l’artiste impressionne à tout les niveaux et il sera intéressant de voir l’évolution de son style particulier, qui arrive pourtant à transcender le récit.

Au premier abord, cet ouvrage s'annonçait assez classique avec un intéressant contrepoint sur la légende Arthurienne. Morgane se révèle être bien plus que ça, en offrant une aventure d'une rare dramaturgie, un univers riche et sombre, et des planches sublimes, entre finesse d’animation et dessin brut au pastel gras, qui donnent une étonnante intemporalité à l’album. Et en plus d’une excellente lecture, la vraie révélation de cet album se trouve être son duo d’auteurs, Simon Kansara et Stéphane Fert, que l'on suivra avec grand plaisir.

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