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par Elsa - le 9/12/2013
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par Elsa - le 9/12/2013

Pendant que le Roi de Prusse faisait la guerre, qui donc lui reprisait ses chaussettes ?, la critique

Zidrou, on l'a d'abord connu faisant rire les enfants. Avec par exemple l'Elève Ducobu ou Tamara. Et puis il a débarqué là où on ne l'attendait peut-être pas. Il s'est mis à raconter des histoires aux plus grands, et s'il nous avait habitué à muscler nos zygomatiques, il a pris nos tripes par surprise et ne les a plus lâchées, d'album en album.

Du lumineux Lydie au sombre Les Folies Bergères, du surprenant La peau de l'Ours à l'intime Le beau voyage, du polar avec Le client à la bd historique avec Marina.

Zidrou s'amuse avec les genres, va simplement là où il a envie d'aller. Avec toujours, toujours, cette même justesse du mot, cette humanité qui déborde des cases et nous fait passer par milles émotions, déclenchant tour à tour larmes et éclats de rires.

Jordie Lafèbre, Oriol, Springer, Francis Porcel, Man, Matteo. À chaque fois, il s'associe à un dessinateur qui saura laisser exploser tout son talent et donner vie à une foule de personnages hauts en couleurs.



Mais oui, qui ?

Cette fois-ci, Zidrou revient avec Roger, l'orfèvre derrière les planches de Jazz Maynard. Ensemble, ils nous offrent une bande dessinée dont le seul titre a déjà quelque chose de magique, Pendant que le Roi de Prusse faisait la guerre, qui donc lui reprisait ses chaussettes ? Il y a, dans cette question un peu absurde et pourtant loin d'être idiote, des airs de contes pour enfant, peut-être aussi, justement, beaucoup de l'innocence enfantine qui va toujours déceler ces petits détails anodins auxquels les adultes ne prêtent plus attention depuis longtemps. Dans ce titre, il y a aussi comme une douce nostalgie, comme une tendresse un peu triste. Pour ce Roi aux chaussettes trouées, comme pour la personne qui l'attend chez lui, et qui aimerait sans doute bien repriser ses affaires, avec autant d'attention que d'amour.

Catherine a 72 ans. Depuis que son andouille de mari a eu l'idée de mourir, sa vie toute entière ne tourne plus qu'autour de Michelou. Michelou c'est Michel, son fils, son grand de 43 ans. Il est handicapé, assez lourdement pour que Catherine doive être auprès de lui presque à chaque instant.

Pendant que le Roi de Prusse faisait la guerre, qui donc lui reprisait ses chaussettes ? est un ensemble de petites scénettes qui nous racontent le quotidien de ce duo mère-fils lié par le besoin, mais bien plus encore par l'amour. Autour d'eux, il y a Françoise, la fille de Catherine, Isabelle, sa sœur, Philippe, son neveu. Chacun est là, avec son sourire, sa bonne humeur, sa gentillesse. Mais personne ne peut soulager Catherine de son fardeau. Et puis d'ailleurs, le voudrait-elle seulement ?



Le lien

Le deuil d'un enfant, la guerre, le suicide, l'amour, et aujourd'hui le handicap. Zidrou n'aime pas beaucoup la facilité. Sujets durs, parfois tabous, il les transforme pourtant en petit bijou de délicatesse, funambule qui avance sur le fragile fil entre la réalité nue et l'excès de compassion. Jamais, pourtant, il ne dérape. Les dialogues sont d'une justesse imparable, tout en retenue et criant de vérité. Il n'épargne jamais ses héros, mais les drames qui font leur vie ne sont qu'une infime partie d'eux. Même dans la détresse et la souffrance la plus déchirante, il glisse un petit rayon de soleil qui perce à travers les volets clos. Il y a toujours entre les lignes comme un petit sourire en coin, un optimisme sincère, et un amour débordant pour l'humain.

Dans cette incroyable bande dessinée il n'est à nouveau question que d'amour. Un amour plein d'un mélange de sourires et de larmes, d'instants d’énervements et de bouffées de tendresse. S'il est bien un fil conducteur dans les histoires de Zidrou, c'est ce lien d'amour, souvent familial, filial ou fraternel. Un lien si fragile et que rien, pourtant, ne semble pouvoir briser.

Le dessin de Roger est à la hauteur de ce récit puissant. Ses personnages sont beaux, doux. On ressent chez lui aussi une énorme tendresse pour les gens, une pudeur pleine d'affection, accordant toute la place qu'elles méritent aux postures et aux expressions. Le petit sourire timide de Catherine irradie la bande dessinée, quand le regard candide de son Michelou nous attrape et nous serre le cœur. Et nul doute qu'à chaque fois, celui de sa mère est dans le même état. La colorisation change, évolue, et offre à chaque scène une palette de teintes, bleues, rouges, jaunes, roses, qui appuient sans trop en faire les atmosphères.

Ce sont des tous petits bouts de vie de Catherine que nous racontent ici Zidrou et Roger, des minuscules instants volés de sa vie qui ne lui appartient plus vraiment. Des petits riens qui en disent pourtant bien plus que tout le reste réuni et qui, surtout, rendent un vibrant hommage à ces héros du quotidien, ceux qui mettent leur vie entre parenthèse parce qu'on a besoin d'eux.

Pendant que le Roi de Prusse faisait la guerre, qui donc lui reprisait ses chaussettes ? est une bande dessinée magnifique. Un petit chef d’œuvre qui, sans prétention, retourne notre cœur et noue notre estomac. On sourit beaucoup, la gorge pourtant serrée par l'émotion. On ressort de sa lecture un peu changé, le souffle court. Et quelques heures plus tard, on ressent encore la douceur de Catherine auprès de nous, comme une petite chaleur, tout contre notre joue, dont on ne voudrait jamais plus se séparer...

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