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par Arno Kikoo - le 4/10/2017
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par Arno Kikoo - le 4/10/2017

Rentre dans le Moule, la critique

Auréolé d'un prix à l'édition 2016 du FIBD d'Angoulême, l'illustrateur et auteur Le Cil Vert propose en cette rentrée un nouvel ouvrage autobiographique dans la continuité de son précédent, Un Faux Boulot. Il revient de façon brute, mais non sans humour, sur la façon dont chacun se perçoit par rapport à la société et décide (ou non) de se conformer aux règles et usages sociaux en vigueur. À l'heure du passage vers l'âge adulte, symbolisé ici par le fait de devenir papa, une réflexion sur la vie (de couple), le rapport au travail, et surtout, aux choix qui se présentent forcément à chacun de nous.

Travailler, c'est rentrer dans le moule ? 

Avec son style cartoonesque et ses personnages aux yeux ronds, la couverture de Rentre dans le Moule a de quoi interpeller, en mettant en scène ces petits bonhommes qui ressortent d'une boîte avec tous la même apparence. Le rapport au travail est un sujet traité par la bande dessinée à de nombreuses reprises, mais Le Cil Vert en fait ici son sujet en le rapportant à son histoire personnelle. Jean, son personnage, va être papa. Il est en couple depuis cinq ans avec sa copine (et mère de son futur enfant), et se voit proposer un poste d'ingénieur dans le bâtiment.

Ça tombe bien, puisqu'il a fait l'école des arts et métiers au cours de ses études. Mais, comme à cette époque, le fait de prendre ce travail est un choix qui n'est pas sans conséquences. Un travail, oui, mais quid de la vie de famille ? Un travail, oui, mais quid des codes à adopter ? Quid des pressions sociétales pour se conformer et avoir une vie "normale" ? Et comme choisir, c'est renoncer : faut-il se laisser porter par une ligne définie (ou plutôt, un tapis roulant, l'image choisie par le narrateur) ? Peut-on changer de chemin ? Faut-il avoir peur de l'inconnu lorsqu'il se présente ? 

Des questionnements, des peurs, des angoisses à foison, mais la lecture de Rentre dans le Moule n'est pas pour autant anxiogène. Plutôt déprimante cependant, donc si vous n'avez pas le moral au beau fixe, peut-être faudra-t-il passer votre chemin. Jean est un personnage en perpétuelle remise en question, qui fait les liens entre sa situation actuelle, et son passé pour décider ou non d'avancer.

Les raisonnements interpellent naturellement le lecteur, qui aura un ressenti forcément différent en fonction de son parcours personnel. Les personnages qui font le quotidien de Jean sont tous bien écrits, avec quelques stéréotypes (mais qui, à mon humble avis, ne sont pas si forcés que ça), et une certaine justesse notamment pour Clara, sa compagne. On se prend immédiatement d'affection pour le couple, chacun ayant ses propres questionnements et envies, qui amènent un ensemble de scènes alternant tendresse, humour, et d'autres moments plus difficiles. Attention à vous, petits émotifs.

Une histoire simple

Rentre dans le Moule est une bande dessinée facile à aborder graphiquement. Le dessin est assez simple - avec un côté cartoonesque (les gros nez) - sans être simpliste. Il est clair que dans ce genre de travaux, l'aspect visuel n'est pas le plus important, mais Le Cil Vert ne bâcle pas non plus son travail. Le sens de l'image et de la métaphore s'illustrent assez bien à plusieurs reprises, et l'utilisation des couleurs, notamment des teintes grisées ou sépias participent à l'ambiance morose, voire déprimante, du récit.

C'est d'ailleurs ce ton qui pourra rebuter certains lecteurs, mais aussi les flashbacks sur l'école des arts et métiers. Même si l'auteur en explique les us et coutumes, il y a une légère distance qui se créée dans ces instants avec le personnage principal, provoquant un décalage avec les moments "dans le présent", qui arrivent mieux à portrayer le quotidien que chacun vit. Peut-être, justement, parce que les écoles d'ingénieurs sont un monde à part et que votre rédacteur n'y a pas pris part et se sent donc moins concerné. Un léger bémol qui ne viendra pas entâcher une lecture vraiment poignante mais, rappelons-le une dernière fois, assez déprimante (surtout si vous êtes en pleine crise existentielle).

Rentre dans le Moule est à la fois une tranche de vie, une réflexion de l'auteur sur la place de chacun dans la société, et les normes que cette dernière fixe, et une invitation pour tous à faire ses propres choix, sans se laisser dicter une conduite par quiconque. Malgré une ouverture enthousiasmante, les teintes sépia et le personnage de Jean risquent de vous mettre un coup au moral, pour peu que vous partagiez en ce moment ses angoisses et ses questions. Une oeuvre prenante, et qui trotte encore dans la tête après lecture.

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