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par Elsa - le 3/02/2015
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par Elsa - le 3/02/2015

Sauvage, la critique

Marie-Angélique Le Blanc nait en 1712 et mourra en 1775. Entre temps elle a eu mille vies, qu'Aurélie Bévière et Jean David Morvan nous racontent sous le trait de Gaëlle Hersent.

La plus lettrée des sauvages.

En 1731, des paysans tombent nez à nez avec une créature sauvage, qui se nourrit d'animaux qu'elle chasse elle-même et que l'on accuse d'avoir assassinée une congénère, retrouvée au bord de l'eau. Rapidement, ils découvrent derrière cette apparence de démon une jeune femme qui, à défaut de bonnes manières, sait faire preuve d'une remarquable capacité d'adaptation et éveille la curiosité de la noblesse.

De ce point de départ, les auteurs nous emmènent explorer le passé de cette jeune femme, les circonstances qui l'ont amenées à être cette sauvage cachée dans les bois de Champagne, ainsi que toutes les autres étapes et épreuves qui ont rythmé son existence, jusqu'à sa mort dans ses appartements parisiens.

Un récit peut-être pas aussi fort que son héroïne.

Marie-Angélique Le Blanc a réellement existé, et sa vie est aussi folle que remarquable. Née Mahwéwa, esquimaude du peuple renard, elle a ensuite voyagé, traversé un océan, et subit de nombreux drames qui ont brisé chacun de ses destins. Ce pourrait être une vie absolument tragique, si cette femme hors norme n'avait su s'adapter à ce que la vie, les rencontres, le hasard, lui offraient à chaque fois. Les auteurs reconstituent petit à petit le fil de son existence, en commençant par un épisode d'amnésie, puis en lui faisant recouvrer la mémoire au fur et à mesure qu'elle mûrit et évolue, en jouant habilement sur les flashbacks. A travers elle, c'est aussi l'Histoire de France qui nous est donnée à voir, puisque la jeune femme débarque en France en pleine épidémie de Peste Noire, et connaitra le siècle des Lumières et certains de ses plus éminents penseurs.

Il faut avouer que Delcourt publie ces temps-ci beaucoup (beaucoup) de biographies en bande dessinée (et il n'est, de plus, pas le seul éditeur à le faire). Un genre que l'on peut apprécier, des titres que l'on lira si la vie d'une personne en particulier nous intéresse, ou bien encore si, comme dans le cas présent, on est curieux de découvrir des destins hors du commun. Le souci, c'est que la plupart du temps les auteurs font le choix d'une narration où eux-même se placent en spectateurs, mettant en scène des faits avérés sans prendre parti. Un choix tout à fait justifiable mais qui, du coup, crée une véritable distance, et ne permet pas vraiment de s'attacher aux personnages. Si vous aimez les faits, la grande Histoire, vous serez comblés, si vous êtes à la recherche d'émotions, beaucoup moins. 

Dans une bande dessinée comme Mauvais genre, par exemple, Chloé Cruchaudet est partie d'une histoire vraie, de deux personnages dont elle s'est totalement imprégnée, puis a raconté une histoire, où les faits réels, les anecdotes même, sont intimement mêlées à son regard, son ressenti, son imagination. Le résultat est à la fois passionnant et très fort, ne colle pas toujours parfaitement aux faits (c'est un choix assumé) mais sonne finalement beaucoup plus juste, parce qu'il est vivant. La vie de Marie-Angélique Le Blanc est suffisamment riche pour nous offrir un récit dense, fascinant et chargé en rebondissements, mais il y manque ce petit supplément d'âme qu'aurait sans doute mérité ce destin hors du commun, et qu'on aurait aimé trouver pour ressentir réellement cette histoire.

Côté dessin, la couverture est peut-être un peu trop riche en promesses. Ce dessin de Gaëlle Hersent est plein d'une violence et d'une folie que l'on ne retrouve pas ensuite dans la bande dessinée (mais c'est encore une fois surtout dû au côté froid du récit, qui survole seulement cette bestialité). Pour autant, le dessin à l'intérieur est beau, doux, riche et dynamique, conférant à l'héroïne une fragilité touchante, malgré sa force de caractère. La mise en couleurs permet de jouer avec les époques de manière claire et fluide, et les pages évoquant la naissance et le début d'enfance de l'héroïne, au traitement graphique différent, sont particulièrement belles, originales et fortes.

Sauvage, c'est une bande dessinée richement documentée sur un destin hors norme, qui traverse une époque particulière de l'Histoire de France. On regrettera que, comme trop souvent dans les nombreuses biographies en bd publiées en ce moment, on nous raconte les faits plutôt que de nous les faire ressentir, mais ce titre est bien écrit, intéressant, et laisse deviner tout le potentiel de Gaëlle Hersent, dessinatrice de talent dont le travail gagne en intensité quand elle s'aventure dans des traitements graphiques moins classiques.

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