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par Elsa - le 27/06/2016
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par Elsa - le 27/06/2016

Stupor Mundi, la critique

Directeur artistique des éditions Casterman BD, Néjib publie sa deuxième bande dessinée : Stupor Mundi.

La rencontre sanglante de la croyance et de la science.

Hannibal Qassim el Battouti a fui Bagdad avec sa fille Houdê. Il est accueilli au castel de la Stupeur du Monde, un puissant seigneur qui aime s'entourer des savants et des artistes les plus éminents. Mais c'est un homme caractériel et Hannibal devra l'éblouir avec son invention s'il tient à rester en sécurité auprès de son protecteur.

Pendant que le scientifique frôle la folie en essayant de mener à bien ses expériences, sa fille, accompagnée de l'esclave chargé de veiller sur elle et de lui permettre de se déplacer comme bon lui semble malgré son handicap, cherche à retrouver la mémoire : elle n'a aucun souvenir de la mort de sa mère et son père ne veut rien lui dire.

Réussir mais pour quoi ?

Dans ce récit qui mêle habilement la fiction à un Moyen-Âge réaliste et documenté, Néjib nous entraine dans une lutte sournoise et violente entre l'obscurantisme religieux et les avancées scientifiques. Dans le huis clos du château de La Stupeur du Monde, Hannibal et les siens sont à la fois en sécurité et entourés d'ennemis prêts à tout pour le faire échouer et qu'il ne remette pas en question leurs croyances. Les intrigues s'entremêlent et les intérêts des uns et des autres créent une tension parfaitement maitrisée. Malgré les presque trois cent pages que comptent Stupor Mundi, cette bande dessinée se lit d'une traite, avec fluidité. Néjib est un excellent conteur. Il donne vie à des personnages fantasques ou plus discrets, mais tous passionnants. Ensuite, il les laisse interragir alors que la pression constante les rend un peu fous.

Plus encore que le scientifique, obnubilé par la réussite de son plan, c'est Houdê qui est la véritable héroïne de cette histoire. Soucieuse de voir son père réussir, peut-être plus méfiante et réfléchie que lui, elle cherche aussi à se rappeler les éléments manquants de son passé. Elle est sans aucun doute le personnage le plus touchant de cette histoire, loin de la noirceur des adultes et pourtant très intelligente. La trame principale est double : d'un côté la quête d'Hannibal, de l'autre l'enquête d'Houdê. Tout autour, les motivations des uns et des autres créent des petits moments, des rencontres, des discussions, des secrets, qui viennent d'autant enrichir l'ensemble. Avec toujours la tension crée par la menace qui pèse sur eux : s'ils déçoivent La Stupeur du Monde, un sort funeste les attend.

Le dessin est sensible. Les cases sont épurées et cette économie dans le trait rendent plus fortes encore les émotions des uns et des autres. Entre haine, jalousie et faux-semblants, Stupor Mundi est comme une pièce de théâtre imprévisible et virulente. La colorisation est elle aussi très simple, mais efficace. Des aplats servent les ambiances, apportant lumière, mais surtout pénombre au huis clos du castel. Si Houdê évolue entre les murs du chateau, elle en sort aussi et son histoire apporte une lumière, un air plus frais qui allège l'ensemble, participant grandement au côté fluide de la lecture. Hannibal, lui, vit presque reclus, obsédé par sa mission.

Stupor Mundi est riche en émotions, chargé de tension, de souffrance et de sentiments négatifs. Pourtant il sait aussi se faire plus léger, plus doux et parfois très drôle. On se régale vraiment pendant la lecture, notamment grâce à la galerie de personnages plus réussis les uns que les autres, et tous plus subtiles qu'il n'y parait au premier abord. Car s'ils ont tous une 'gueule' et un caractère fort, leurs intentions sont plus complexes que l'on ne pourrait le croire. Les critiques et la réflexion entre les lignes sont elles aussi toutes en subtilité. Au-delà de l'obscurantisme religieux, l'auteur nous montre des personnalités obnubilées par un but chimérique, prêts à sacrifier tout le reste pour une mission qui n'a pas vraiment de sens. La vanité transpire de tous ceux qui se livrent une guerre discrète pour la gloire et la lumière comme la douceur viennent des invisibles, d'El Ghoul, l'esclave chargé de veiller sur Houdê au propre fils de La Stupeur du Monde, laissé de côté parce qu'il a déçu son père.

Stupor Mundi est un récit souvent sombre, très riche et parfaitement mené, qui nous invite à réfléchir plus qu'il ne donne des réponses. Une histoire qui prend place au Moyen-Âge mais qui a pourtant quelque chose d'universelle. Qu'apporte-donc la vanité ?

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