La nouveauté phare de l'éditeur Ki-oon pour ce début d'année est un manga atypique, sensible et intelligent, A Silent Voice.
Shoya et Shoko.
KOE NO KATACHI © Yoshitoki Oima / Kodansha Ltd.
Shoya Ishida est un petit garçon intrépide. Sans doute beaucoup trop, même, puisqu'il passe son temps libre à accepter les défis de ses deux meilleurs amis pour tester son courage. Sauter d'un pont ne lui fait pas peur, sa mère, par contre, apprécie moyennement qu'il revienne chaque jour couvert de boue et de bleus.
Une nouvelle élève intègre sa classe de CM2, Shoko Nishimiya. Elle est malentendante, et malgré sa bonne volonté, peine à s'intégrer. D'abord objet de curiosité, elle est désormais considérée comme un boulet par ses camarades. En parallèle, les amis de Shoya se détournent de leurs jeux dangereux pour se concentrer sur les études en prévision du collège, et l'ennui commence à le gagner... Agacé par la nouvelle venue, il se met à la chahuter un peu, et tout le monde semble trouver ça aussi drôle que lui. De moqueries pas très fines, la situation dérive rapidement vers un véritable harcèlement.
Premier manga de Yoshitoki Oima, réalisé alors qu'elle n'avait que 19 ans, A Silent Voice a remporté le premier prix du concours jeunes auteurs de Kodansha en 2008. Mais ce manga aurait pu ne jamais arriver entre nos mains. En effet, A Silent Voice aurait dû paraitre peu après avoir gagné le concours, mais son sujet délicat a freiné ses éditeurs et il n'est finalement paru qu'en 2011. Devant le succès public, ce qui était un one-shot est devenu le premier tome d'une série en sept volumes.
Une première oeuvre particulièrement maitrisée.
A Silent Voice est un récit étonnamment mature pour une si jeune auteure.
Par son sujet d'abord. La mangaka aborde avec beaucoup de délicatesse et de simplicité le handicap à travers Shoko. La jeune fille fait preuve d'une telle gentillesse et à la fois d'une telle force qu'elle est instantanément attachante sans jamais qu'on la prenne en pitié. La vie ne lui fait pas de cadeaux, mais sa douceur et son optimisme à toute épreuve forcent l'admiration. L'autre thème principal de ce manga, c'est l'ijime, ou harcèlement, aussi courant que tabou en milieu scolaire (et pas seulement au Japon). L'auteure raconte ces brimades avec un réalisme glaçant, mais développe un personnage tout en nuance. Si on n'éprouve pas de pitié vis-à-vis de Shoko, on ne déteste pas non plus Shoya malgré sa cruauté. Chacun des personnages imaginés par Yoshitoki OIMA est réaliste, riche en défauts comme en qualités, avec un passé, des blessures, et un caractère particulier. Ses deux héros sont aussi intéressants qu'attachants.
Mature par sa construction ensuite, pleine de délicatesse, d'intelligence. Le rythme est prenant, le récit rempli d'émotions, et la mangaka développe de nombreuses choses en un seul tome. C'est d'ailleurs l'élément en suspens de ce titre : prévu comme un one-shot, ce premier volume d'A silent voice est très dense et traite de toute la période où se sont fréquentés les deux héros, de leur rencontre aux évènements les plus sombres. Le résultat est captivant et réussi mais il faudra maintenant voir sur la durée comment l'auteure reprend le fil du récit pour le développer sur sept volumes à partir de cette première étape.
Le dessin est lui aussi très maitrisé, avec une vraie patte, pleine de rondeur, et une mise en scène efficace. L'ambiance est à la fois dure et douce, racontant remarquablement par le dessin ces moments où l'innocence de l'enfance se teinte d'une cruauté effrayante. La dessinatrice sait aller à l'essentiel pour raconter les émotions avec beaucoup de justesse, et rend ce manga vraiment fort et touchant.
Ce premier tome de A silent voice est donc un titre prometteur, une histoire réussie abordant des sujets tabous que l'auteur traite avec intelligence et justesse. Un manga plein d'émotion qui, on l'espère, conservera toutes ses qualités dans les prochains volumes.