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par Corentin - le 8/01/2018
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par Corentin - le 8/01/2018

Blade of the Immortal, la critique

NetflixTakashi MiikeL'Habitant de l'Infini, une rencontre de noms intéressants matérialisée en un film proposé depuis une semaine sur la plateforme du géant de la vidéo à la demande. Prolifique, hyperactif du travail en série, Miike est devenu au fil des ans un nom synonyme d'excellence ou de réelles déceptions, trop souvent entre deux projets, parfois sans adresse. Une certaine fébrilité agitait les spectateurs en quête d'un nouvel Itchii, après un Terra Formars dans l'ensemble décevant. Bilan à chaud ? Le film est un bon Miike, avec la patine de défauts imperméables suscités par l'intitulé. Bienvenue sur les terres (hostiles) du cinéma de genre nippon, un univers étrange aux codes bien différents de notre imaginaire, où les bras volent, le sang coule et les vers magiques vivent leur vie.

Malédiction de l'immortel

En préambule, présentons L'Habitant de l'Infini, oeuvre culte de Hiroaki Samura un brin moins célèbre que d'autres oeuvres du répertoire samouraï, comme KyoKenshin ou Vagagond. L'histoire se situe pendant la populaire ère Edo, un terrain de jeu usuel des mangakas et animateurs qui aime ses porteurs de sabres et mythes clanniques de forêts et de sorcières malfaisantes. Un héritier symboliques d'écrits comme La Pierre et le Sabre, sorte d'Iliade épique du Japon féodal qui aura porté le mythe du guerrier samouraï et de nombreuses oeuvres associées.

L'histoire du manga est celle de Manji, un puissant guerrier devenu par malédiction immortel. Son seul espoir de connaître un juste et reposant trépas serait d'assassiner de sa main mille scélérats, et au fil de son lent parcours, il croise la jeune Lin, dont la famille a été massacrée par l'horrible clan Itto-Ryu. Le film reprend cette trame avec une certaine fidélité, entre deux effets de styles étranges.

Le sabre en dents de scie

Dès l'introduction, on retrouve un Miike moins foutraque et plus concentré. Le premier pan est une bataille crue et sans concessions, tournée en noir et blanc - qu'il s'agisse d'un hommage au trait de Samura et sa célèbre encre de chine, ou d'un clin d'oeil plutôt phénoménal au cinéma de Kurosawa (et ses exécutions brutales à la Yojimbo), l'effet est réussi. Le réalisateur joue tout le métrage sur les silences, cadencées par des ambiances de fond respirables où le contemplatif joue au détriment du rythme. 

Puisque voilà : au pays du cinéma asiatique, les codes évoluent selon d'autres angles. Le film est assez long, et rythmé sur un principe de rencontres. Le héros et sa jeune accolyte vont aller de combats en combats pendant une partie assez ample du déroulé, entre divers ajouts à une toile de fond plutôt dense dans laquelle on se perd par endroits. Miike délègue un temps d'écran plutôt important à ses vilains, pas forcément pour le meilleur.

À quoi rime cette mise en scène ? Entre les pauses stylisées où la frime triomphe sur le cohérent, se glissent d'authentiques moments de bravoure, rattrapés par des dialogues parfois interminables. Des moments de combat expéditifs à des scènes d'action plus longues et ultra-violentes (dans le style Samura), parfois gratuites sur la stupidité de certaines techniques. Une sorte de mélange entre le cinéma d'auteur et la série Z codifiée à ras bord. Jamais un réel défouloir déconnant, jamais non plus une adaptation sobre de manga de samouraï, le film ressemble à son réalisateur, barré, mais talentueux.

Adaptation désincarnée ?

Dans le fond, Blade of the Immortal (ou encore Mugen no jūnin et on a fait le tour) est une proposition plutôt cool à appréhender, pour peu que vous ayez ce goût pour les bizarreries orientales. Non pas que le cinéma japonais en général ressemble à Miike - on a là-bas comme ici une palette de styles immense qui part de Kitano jusqu'à Noboru Iguchi, le type qui fait des films scato' avec des filles qui ont des mitrailleuses à la place des bras.  Et des sushis.

Mais, plus proche du premier que du second ici, le réalisateur adapte avec une façon de faire moins perméable qu'une jolie BD noire et blanche. Avec une certaine envie, l'oeuvre perd de sa superbe sur le passage à l'écran. L'introduction reste le meilleur moment de mise en scène du film, et le ventre mou qui s'installe au milieu intéresse moins qu'un récit plus classique. Ce qui était de toutes façons parti pour être un ovni ressemble trop à ce qu'on espérait que ce ne soit pas, tout en trouvant de vrais accents de sincérité et d'élégance aux bons moments.

C'est donc une semi-réussite, à ne pas mettre entre toutes les mains. Les amateurs du genre, ou du manga de samouraï (avec un penchant pour le mystique plutôt que l'historique) trouveront leur beurre dans ces katanas cinglants. Tandis que le public lambda qui régale son abonnement mensuel et clique au hasard sur les propositions de sorties abandonnera dans la demie heure, parce que ce septième art à la japonaise, 'comprenez, n'est quand même pas pour les gens comme nous. Vous me direz, c'est vrai que ça ne vaut toujours pas Kurosawa.

À mi-chemin entre la série Z et le film d'auteur, Blade of the Immortal est un film à l'image de son metteur en scène. Les fanatiques du manga retrouveront peut-être moins l'ambiance soutenue de la BD, ou le style bien différent d'une version à l'autre. Néanmoins, pour les amateurs du cinéma de Miike - à ceux qui aimeraient le découvrir, on conseille d'autres bizarreries, Gozu ou Itchi en priorité - le film est une jolie compilation de ses qualités de mise en scène, tant dans la violence que les instants de calme où se posent des ambiances travaillées. Maintenant, se pose la question du public vis-à-vis de ce genre de production : à un clic de découvrir un film sans rien connaître du sujet, de l'oeuvre ou de son auteur, est-ce que la facilité d'usage de Netflix nous rendrait à terme paresseux ?

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