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par Elsa - le 23/12/2014
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par Elsa - le 23/12/2014

Ressentiment tome 1, la critique

Kengo Hanazawa, l'auteur de la série I am a hero, est également l'auteur de Ressentiment, un titre paru au Japon en 2004/2005, que l'éditeur Ki-oon publie en volume double pour un diptyque aussi dense que dérangeant...

Bienvenue dans Unreal.

RESSENTIMENT © 2012 Kengo HANAZAWA / SHOGAKUKAN

Takuro Sakamoto approche de la trentaine. L'heure de réfléchir à ses perspectives d'avenir. Verdict : elles sont bien maigres. Doté d'un physique ingrat, vivant encore chez ses parents et avec un emploi minable, son célibat et plus globalement son existence sans intérêt ont de grandes chances de se prolonger indéfiniment. 

En pleine déprime, il se rend chez son ami Daisaku. Il n'est pas beaucoup plus gâté par la nature, mais enchaine les conquètes. Son secret ? Unreal. Dans le futur proche où se déroule l'histoire, les technologies liées aux jeux vidéos ont beaucoup évolué, et ce jeu en ligne est d'un réalisme troublant. Dans le monde d'Unreal, il suffit d'avoir les moyens d'acheter suffisamment d'extensions et les joueurs pourront collectionner des filles soumises à leurs moindres désirs.

Alors Takuro cède à la tentation, court s'acheter un ordinateur et y installe Unreal. Il va cependant découvrir très rapidement que Tsukiko, sa nouvelle petite amie virtuelle, est très particulière...

Fiction dans la fiction.

L'auteur d'I am a hero signe ici un titre étrange, aussi bien écrit qu'incroyablement glauque. Soyez prévenus : Ressentiment est à réserver à un lectorat très averti. 

Malgré l'omniprésence du thème de la sexualité, ce titre n'est pas érotique. Le sujet est, du moins visuellement, toujours censuré ou sous-entendu. Le traitement qui en est fait dans le texte, par contre, confine souvent au malaise. Dans ce monde virtuel où les personnages s'autorisent à être eux-même, à hauteur de ce que leur permet leur compte en banque, leurs fantasmes les plus répréhensibles sont tout à coup à leur portée. Harem de femmes soumises, très jeunes filles, violence ou même phallus remplacé par une tête d'animal mort, Kengo Hanazawa explore les déviances et les met en scène avec un réalisme qui rend forcément le lecteur mal à l'aise.

La mise en abyme est d'ailleurs particulièrement intéressante : l'histoire se déroule dans un monde virtuel, qui n'est pas la réalité. Et le récit lui-même nous est raconté dans un manga, ce qui n'est à nouveau pas la réalité. Pour autant cette fiction dans la fiction est-elle excusable ? Les personnages qui envisagent d'avoir des relations sexuelles, pas vraiment consenties qui plus est, avec une jeune fille de douze ou treize ans ne sont-ils pas abjects parce qu'ils agissent dans un monde virtuel lui-même imaginé par un auteur ? Le mangaka ne donne aucune réponse, développe juste son histoire en mettant en scène des héros tout à coup libres de réaliser absolument tout ce qui leur passe par la tête, et nous laisse nous débrouiller avec cette nature humaine montrée sous son plus mauvais jour.

Rendre floues les frontières.

Le récit alterne donc entre Unreal et la réalité. Et si l'écart est grand entre un monde reconstitué de toutes pièces et le triste quotidien de Takuro, les deux sont racontés avec la même énergie débordante, le même humour trash. Kengo Hanazawa joue d'ailleurs habilement entre les deux mondes parallèles, passant d'une case où les deux amis font élégamment une promenade à cheval, à celle où l'on voit les deux trentenaires à califournchon sur des dossiers de canapés dans une chambre miteuse. Le rythme, le décalage, et la manière dont l'auteur met en place deux univers riches et bien construits rendent l'histoire absolument captivante, aussi dérangeante soit-elle. Autour du héros, pathétique mais qui parvient à être parfois touchant dans sa très maladroite volonté d'accéder au bonheur, de nombreux personnages évoluent dans les deux mondes, et le lecteur fait connaissance avec eux pendant que Takuro est, lui, majoritairement obsédé par son propre nombril.

Graphiquement, le mangaka mêle les genres dans des planches entre réalisme, érotisme kawaïï, caricature et manga horrifique. Le cocktail est aussi improbable qu'étrangement réussi, et participe lui aussi au sentiment de malaise, en ne nous permettant jamais de prendre nos marques dans notre lecture. 

Ressentiment est donc un titre particulièrement dérangeant et malsain, qui explore la nature humaine dans ce qu'elle a d'abjecte avec un humour débridé. S'il sera difficile de se débarrasser d'un profond sentiment de malaise tout au long de la lecture de ce premier volume (le second paraitra en janvier 2015), Ressentiment se révèle particulièrement efficace, bien écrit et construit, original, plein d'humour, et provoque des réflexions intéressantes sur l'humain, et sur les limites que l'on doit ou non poser à la fiction. 

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