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par Elsa - le 24/06/2015
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par Elsa - le 24/06/2015

Sangsues tome 1, la critique

Casterman s'est souvent illustré par des choix éditoriaux originaux et pointus dans son catalogue manga. Une nouvelle très bonne pioche avec Sangsues, de Daisuke Imai.

Transparente.

Si vous croisiez Yoko dans la rue, elle aurait l'air 'comme tout le monde'. Tellement commune d'ailleurs, qu'il est fort possible que vous ne la remarquiez même pas. Dans sa poche, un jeu de clé, et pendant que personne ne note seulement sa présence, elle attend patiemment qu'une jeune femme qu'elle connait sans être connue d'elle parte travailler. Elle attend, en fait, que son appartement soit vide, pour pouvoir l'occuper, le temps de quelques heures. Prendre une douche, dormir un peu. La vie normale, mais dans l'intimité d'une autre. Et puis elle partira. Sur son trousseau, il y a sept clés, pour sept appartements.

Mais dans cette existence invisible, solitaire mais presque insouciante, la jeune femme va découvrir qu'elle n'est pas la seule. Naïve qu'elle était, les gens comme elle portent même un nom. Les sangsues.

"Je me repais du trop plein de leur vie."

En s'inspirant d'un fait divers insolite, aussi triste que glaçant, celui d'un japonais découvrant qu'une vieille dame vivait dans son placard, Daisuke Imai imagine Sangsues. Face à la réalité, il inverse les rôles, donnant une consistance, une vie, une densité, à ceux que personne ne regarde plus : les SDF. Ici, ses personnages n'ont même plus d'identité, tout le monde les a oublié. Leur vie de marginaux est discrète alors même qu'ils sont partout, mangeant dans les frigos des autres, dormant dans leurs draps, avant de repartir comme ils étaient venus. 

Mais voilà que deux de ces invisibles se croisent, et que tout à coup ils ne sont plus 'personne' mais bien 'quelqu'un' aux yeux d'un autre. Les règles tacites de vie parmi les sangsues sont ébranlées. L'équilibre précaire de cette petite communauté où personne ne s'adresse la parole est mise en danger, et ça ne sera pas forcément du goût de tout le monde... À partir de cette idée originale, le mangaka compose un manga qui de lumineux, devient rapidement violent et dur. Chez les sangsues il est question de survie. Mais si jusque là Yoko survivait avec légèreté, elle va maintenant devoir se battre pour ne pas mourir une deuxième fois. Et pour cela, elle va devoir apprendre vite et être la plus maligne, dans cet univers dont elle fait partie sans le connaitre.

On pense un peu (et c'est évidemment un compliment) à Inio Asano, dans le talent qu'a Daisuke Imai de jongler entre ombre et lumière, violence et innocence. Sangsues développe une intrigue froide et effrayante, tout en accordant aussi beaucoup de place aux émotions, à la fragilité, et peut-être même (qui sais ?) à la gentillesse, dans un monde où le chacun-pour-soi est poussé à l'extrême. Les dialogues sont très réussis, ne nous livrant jamais toutes les informations et nous laissant avancer à petits pas, comprenant en même temps que Yoko le guêpier dans lequel elle est déjà enlisée jusqu'au cou.

Le dessin est beau, élégant, jouant habilement avec les codes du manga réaliste, mais aussi par instant plus horrifique. L'utilisation du noir est très tranchée, sans demi-mesure. Du blanc aveuglant, quelques ombres en gris, et de grands aplats de noir. Chaque case nous plonge à la fois dans une lumière glaciale et dans les ténèbres les plus angoissantes, on sait dès la première page que la promenade ne sera pas de tout repos.

Sangsues est un gros coup de coeur. Un manga en cinq tomes dont le premier volume est particulièrement réussi, fort d'une intrigue originale et d'un habile jeu entre ombre et lumière.

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