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par Elsa - le 19/01/2015
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par Elsa - le 19/01/2015

Saru, la critique

Daisuke Igarashi a marqué les esprits avec Les enfants de la mer. Avant cela, étaient parus Sorcières et La Petite forêt chez Sakka. Ses différents mangas témoignent de sa fascination pour la puissance de la nature, qu'il la raconte avec simplicité ou lui prête des capacités magiques. Dans ce nouveau titre, publié sous la forme d'un épais one-shot, il livre un récit au postulat aussi original que passionnant : toutes les religions découlent d'une même réalité secrète.

La fin d'un cycle.

© 2010 Diasuke Igarashi

Dans un village italien, un exorciste mandaté par le Vatican arrive pour s'occuper du cas d'une petite fille qui se dit possédée par un esprit aux multiples noms. A Paris, une jeune femme d'origine japonaise, qui souffre d'une intense à l'oeil, fait la rencontre d'un danseur venu du Bouthan qui sait comment la guérir. A Angoulême, une biennale de la danse va bientôt avoir lieu, réunissant des danseurs folkloriques de nombreux pays. Dans le monde entier, des petits évènements parfois anodins, parfois bien plus étranges, se produisent. Ce que les gens ignorent, c'est que ces minuscules phénomènes sont annonciateurs d'un drame à l'échelle mondiale.

Le présent n'est que la fin de boucle d'un cycle et ce qui se produit est déjà arrivé par le passé. Mais cette fois-ci, de nouveaux éléments entrent en jeu et pourraient bien irrémédiablement changer la donne...

Un récit hypnotisant.

Si vous avez déjà lu du Christophe Bec, et notamment Prométhée, vous retrouverez avec surprise et plaisir une sensation de lecture similaire dans Saru. Le mangaka nous emmène d'un point à l'autre du globe, parfois même d'une époque à l'autre avec un rythme hachuré qui dès les premières pages fait monter la pression. Ce titre est construit comme une succession de gros plans sur les pièces d'un engrenage se mettant en place les unes après les autres. Puis quand tout démarre, à nous de comprendre la machinerie globale, ce qui est en train de se produire et comment l'arrêter. 

Daisuke Igarashi développe un grand nombre de personnages, et d'intrigues complexes qui se basent sur différentes religions, des plus connues aux plus rares. On sent tout de suite l'énorme travail de documentation et de 'vulgarisation' réalisé par l'auteur pour trouver des liens loin d'être capillotractés entre les unes et les autres. Saru est très bavard, mais aussi vraiment fluide et riche en rebondissements. On ne s'ennuie jamais, complètement happé par le décompte vers cette prophétie catastrophique qui pourrait bien détruire l'Humanité. On s'amuse aussi de cette incongruitée d'un auteur japonais choisissant la petite ville d'Angoulême comme lieu de convergence de toutes ses intrigues.

Graphiquement, le trait du mangaka évoque (et c'est loin d'être un défaut) le trait vibrant et expressif de Moyoco Anno, même si cette singularité s'entremêle avec un trait plus réaliste. Les regards des personnages se plongent parfois dans le notre, renforçant encore le côté hypnotique apporté par le découpage quasi épileptique de l'histoire. Puisque les lieux changent souvent, les décors ont de l'importance, et sont reproduits avec fidélité, mais ne prennent jamais le pas sur les échanges et les rencontres. Les cadrages se concentrent surtout sur les visages, mais l'auteur glisse aussi des dessins évoquants différentes représentations religieuses, joli hommage à l'art religieux mais qui renforce également cette mixité qui compose le récit.

Si ce manga est bien construit et intéressant, c'est vraiment le fond qui lui donne une saveur particulière. Cette idée de lier les religions et les cultures les unes aux autres, non pas pour les priver de leurs identités respectives mais plutôt pour les faire s'entrechoquer, s'allier, s'enrichir en se rencontrant, est belle, positive, et finalement très logique. On pourra regretter qu'il faille l'annonce d'une fin du monde pour provoquer certains de ces échanges, mais on sent chez tous les personnages beaucoup d'humanité, de simplicité et de sens du partage. L'auteur traite sur un pied d'égalité les religions les plus puissantes et les croyances méconnues, et nous initie par petites touches à des cultures dont le lecteur n'aura peut-être jamais entendu parler auparavant. L'intelligence d'allier la tension d'un récit catastrophe à un message de paix et de partage.

Saru est un manga atypique, par son sujet, sa construction, son graphisme aussi. One-shot de 420 pages, ce titre, bien que très dense et bavard, se lit avec plaisir. Récit-catastrophe bien mené, fond documentaire riche et raconté avec fluidité, message sous-jacent positif, une jolie surprise.

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